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Moreira exagère l’importance de certains faits et en même temps passe sous silence les autres, qui gènent le Kremlin. On voit bien une prise de partie idéologique des « pro-russes », des distorsions et des erreurs factuelles. Le tout est assaisonné d’un antiaméricanisme de bistrot.

Le documentaire de Paul Moreira « Ukraine: les masques de la révolution » consacré à l’Ukraine et diffusé par Canal+ est devenu l’objet de nombreuses critiques. Et ce n’est pas faux. Après le visionnage du trailer je pensais encore que l’auteur s’était peut-être trompé, qu’il s’était fait tromper par un fixeur ou un traducteur ou encore qu’il avait fait un sujet complètement déséquilibré, avec une partie prise, juste par manque de connaissance. Mais après avoir vu le filme les moindres doutes sont disparus. Tout était fait délibérément et bien soigneusement planifié.

En fait, M. Moreira a mis en images la propagande de Moscou mais d’une manière beaucoup plus subtile, dans un gant de velours. Quoique ce sujet, prétendu d’être une révélation, reste une simple tentative d’une désinformation. Il soutient la vision de Poutine de l’annexion de la Crimée, qui est la violation de la loi internationale.

L’auteur livre aux spectateurs français une représentation mensongère des événements en Ukraine. Moreira exagère l’importance de certains faits et en même temps passe sous silence les autres, qui gènent le Kremlin. On voit bien une prise de partie idéologique des « pro-russes », des distorsions et des erreurs factuelles. Le tout est assaisonné d’un antiaméricanisme de bistrot, et de plus il nous ressort la théorie du complot.

Moreira fait amalgame entre patriotismes, nationalisme, extrême droite et néonazisme. Il fait amalgame entre manifestants et combattants paramilitaires. Paul Moreira majore grossièrement certains faits. Ce film veut décrire les soit disant agissements de certains groupes nationalistes et d’extrême droite, comme s’ils bénéficiaient d’un poids énorme au sein de la Socièté Ukrainienne (2% aux dernières élections, contre plus de 30% pour le FN en France).

Oui, les groupes nationalistes ont joué leur rôle à la révolution, quoique pas décisive. Oui, nombreux d’eux sont partis à l’est pour contrer les forces de subversion russes, puis des soldats russes. Mais est-ce que ces groupes-là existaient avant le Maidan? Le Secteur droit est apparu pendant les événements de Maidan comme une réaction à la dérive autoritaire du président Yanukovich et à la violence policière. Mais tout de même on ne peut pas appeler des jeunes avec des casques de motard et des boucliers en bois « des paramilitaires » comme le fait Paul Moreira.

Les bataillons volontaires ont été créés en mars-avril 2014 suite à l’annexion de la Crimée et l’attaque des forces séparatistes et russes au Donbass. Donc, c’est l’agression de Moscou qui avait provoqué la création des forces paramilitaires ukrainiennes, certaines nationalistes.

Paul Moreira dit qu’il a vu la révolution depuis sa télévision comme tout le monde mais qu’il a voulu enquêter ce qui s’était passé lui-même. Hélas, l’auteur n’a rien révélé de nouveau, on a déjà vu tout cela sur Russia Today. On a l’impression qu’il n’a même pas voulu comprendre, il n’a pas cherché à enquêter les causes de la révolution, la répression violente contre les manifestants, l’agression militaire russe en Crimée, il n’a pas voulu voir des chars et des missiles russes au Donbass, ainsi que des néo-fascistes russes et des mercenaires tchétchènes dans la région.

Mais, apparemment, c’est l’argent et pas la morale qui dirige la politique éditoriale. Le fait que tous les sites russes propagandistes ont repris le filme de Moreira, l’ont vite traduit en anglais et français et qu’ils l’ont bien promotionné prouvé que le documentaire présente bien le point de vue de Moscou. S’il était neutre, les médias du Kremlin ne l’auraient pas tant mis en exergue.

La deuxième preuve que le documentaire a été truqué pour complaire à Moscou, c’est le témoignage de la traductrice du filme. Anna Jaillard Chesanovska dénonce des manipulations au montage. Elle raconte de quelle manière des coupes ont été faites pour orienter les propos des témoins dans un sens préétabli. D’après elle, les interviews ont été découpées afin de « coller » à l’image que l’auteur a voulue donner de l’Ukraine, dénaturait complètement les propos initiaux des protagonistes. Il devenait du coup difficile d’y reconnaitre la version originale des entretiens, ainsi que de retrouver le vrai sens des propos (bien plus nuancés) des interviewés, dit-elle.

Troisièmement, l’Observateur a publié une lettre ouverte signée par dix-huit journalistes, qui travaillent régulièrement en Ukraine, certains sont correspondants permanents à Kiev, d’autres sont des envoyés spéciaux très réguliers (parmi lesquels Stéphane Siohan, Marc Crépin, Sébastien Gobert, Olivier Tallès et Laurent Geslin) et adressés à Paul Moreira, à la suite de la diffusion de son film sur Canal+.

« Nous sommes des reporters travaillant régulièrement en Ukraine, précisent les cosignataires. Par écrit, radio, télévision et photo, nous avons tous couvert sur le terrain la révolution de Maïdan, l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass ». Et les dix-huit journalistes de se déclarer « choqués » par le reportage de Moreira, « non pas par la thèse défendue par le film » (le renforcement de l’extrême droite en Ukraine depuis la guerre), mais par « l’absence de mise en perspective d’une question complexe », et par une certaine confusion « entretenue par une série d’erreurs factuelles, des informations non recoupées, mais aussi des raccourcis et des manipulations de montage. »

Donc, je vais enquêter « l’investigation » de Moreira afin de relever des mensonges et des manipulations. Je vais vous présenter des faits précis pour démontrer que l’auteur du film a utilisé différentes techniques de manipulation et désinformation. Cela va du passage sous silence des faits trop gênants pour Moscou, l’utilisation inutile de symboles nazis qui n’ont aucun rapport avec les nationalistes ukrainiens, la sélection de caractères pour déséquilibrer le sujet jusqu’à des mensonges honteux sur le cours de l’événement tragique à Odessa et les victimes.

Mais ce qui m’a choqué le plus c’est l’ukrainienne de Moreira qui pass inaperçue si on regarde le documentaire une toute première fois, sans trop prêter l’attention aux détails. L’auteur appelle le trident « un symbole troublant ». Ah bon? Pourquoi? L’usage du trident remonte dans l’antiquité, mais surtout c’est l’emblème officieux de l’Ukraine. Les armoiries de l’Ukraine remontent au Xe siècle, a l’époque de la Rus de Kiev. Peut-on stigmatiser « troublant » l’emblème officieux d’un État indépendant et démocratique? Pour Moreira la réponse est « oui ».

La deuxième chose flagrante qui a attiré mon attention c’est quand l’auteur constate le bilan de quatre morts parmi les pro-russes juste au début des affrontements à Odessa. Mais, Mr Moreira c’était en réalité exactement le contraire, les pro-russes armés des pistolets et de Kalachnikovs ont attaqué le défilé des supporteurs de foot, qui soutenaient l’intégrité du pays, et pas des nationalistes comme l’auteur le prétend, ce qui a fait quatre morts parmi les « pro-ukrainiens ». C’est cette violence qui avait déclenché les événements sanglants qui s’étaient produits plus tard. Cela, il faut vraiment en tenir compte, mais M. Moreira a choisit de le taire ou le nier.

Paul Moreira choisit d’ignorer les conclusions de deux enquêtes, celle de l’ONG « Groupe du 2 mai », qui a réalisé de nombreuses expertises à la Maison des syndicats, fait des entretiens avec des représentants des deux côtés, des témoins, des familles de victimes, et aussi celle du Conseil de l’Europe. Cette dernière souligne que ce sont bien les tirs des membres des groupes armés pro-russes qui ont fait les premiers morts dans les rangs des pro-ukrainiens, Igor Ivanov et Andriy Birukov. Le bandit pro-russe qu’on voit avec un kalachnikov dans les mains a été identifié comme Vitaliy Boudko alias Botsman. Mais il a fui avec le chef de la police à l’époque, Mr Foutchédji. D’après les autorités ukrainiennes, ils se sont réfugiés soit en Transnistrie, soit en Russie. Les pricipaux suspects de l’organisation du massacre du 2 mai.

Encore une fois, le rapport du Conseil de l’Europe, en anglais, décrit bien que c’était des « football fans » qui se sont fait attaquer par les pro-russes, non pas des nationalistes comme le relate Moreira. Et pourtant l’auteur a montré des signes d’une bonne maitrise de l’anglais dans le film. À environ 15h20, au cours du défilé vers le stade, la manif des fans de football a été attaquée par quelque 300 manifestants pro-russes près de la place Hretska, lit-on à la page 12.

Je cite ce que vous ne trouverez pas dans ce documentaire propagandiste. « Les pro-russes ont également résisté à des policiers avec des armes à feu et d’autres armes. La TIC a déclaré que Les forces spéciales « Sokil » ont pris d’assaut le Centre commercial Afina, occupé par les pro-russes, et placé en détention 48 personnes et qu’il y a eu une grande quantité de cocktails Molotov, des armes à feu et d’autres armes saisis dans le bâtiment.

« L’impression de la passivité générale de la police, les séquences vidéo postées sur l’Internet, ont provoqué des allégations de collusion entre certains membres de la police et des manifestants pro-russes. Ainsi, de nombreux fichiers affichés sur l’Internet montrent des manifestants pro-russes armés, et au moins un d’entre eux, Vitaliy Boudko, tire, se trouvant derrière le cordon de police, sur les manifestants pro-ukrainiens, tandis que les policiers ne faisaient aucune tentative pour l’en empêcher. Une autre vidéo montre M. Foutchédji, qui avait été légèrement blessé au bras, monter dans une ambulance dans laquelle M. Budko était assis, apparemment indemne. »

« Certains des leaders des manifestants pro-fédéralistes (pro-russes) qui sont restés à Koulikovo Pole, conscient des affrontements dans le centre-ville et de l’approche des manifestants pro-unité, ont conseillé à leurs partisans de fuir, tandis que d’autres ont proposé qu’ils devraient se retirer dans la Maison des syndicats, un immeuble à cinq étages donnant sur la place. Ils ont enfoncé la porte et se sont barricadés à l’intérieur avec de divers matériaux, y compris les boîtes contenant des cocktails Molotov et les produits nécessaires à leur fabrication. Ils ont bloqué les entrées du bâtiment de l’intérieur par des barricades érigées. »

Suite à l’assaut de l’immeuble par les manifestants pro-unité et suite à l’échange de tir de cocktails Molotov, la Maison des syndicats a pris feu. À la page 13 du rapport du Conseil de l’Europe, on peut lire que « l’expertise médico-légale a établi cinq foyers de feu répartis entre le hall, dans les escaliers de gauche et de droite entre le rez-de-chaussée et le 1er étage, dans une pièce du 1er étage, ainsi que sur le palier entre le deuxième et le troisième étage. »

Et ce qui est le plus important et ce que M. Moreira vous cache, je cite: « les foyers de feu sauf celui dans le hall, n’avaient pu être déclenchés que par les actes de ceux à l’intérieur du bâtiment.

Donc, les incendies ont été provoqués à l’intérieur du bâtiment par ceux qui fabriquaient là-bas des cocktails Molotov. C’est ce que dit l’enquête officielle du Conseil de l’Europe à la page 13 de son compte rendu, tandis que le filme de Canal+ vous raconte que « des armées parallèles nationalistes » ont commis un massacre.

Par ailleurs, l’auteur par son ignorance ou délibérément, met dans le même rang Secteur droit, Azov et Svoboda. Bien sûr, dans la foule il y avaient des membres du Secteur droit et du Svoboda, mais il s’agissait tout d’abord des manifestants pro-unité et des fans de football qui défilaient dans la ville. Svoboda c’est un parti polytique. Secteur droit c’est un groupe nationaliste qui est devenu paramilitaire durant la guerre au Donbass, et qui est maintenant désintégré en petits groupuscules. Quant à Azov, au départ c’était un bataillon créé par des nationalistes, mais puis il a été intégré aux Forces Armées de l’Ukraine. Depuis c’est un régiment, ou les soldats ne sont pas forcément nationalistes. Cela, il faut le savoir, car M. Moreira vous dira pas ça.

Dans ce filme propagandiste vous entendez assez souvent « des milices nationalistes ukrainiennes ». Mais c’est faux. Tout d’abord, ceux qui sont pour l’intégrité du pays ne sont pas forcément nationalistes, Moreira fait un amalgame entre des notions différentes. En plus, au départ les pro-russes ont attaqué un défilé de supporteurs de football, ce qui j’ai mentionné plus haut, des deux clubs qui jouaient à Odessa cette soirée tragique, le club local « Tchornomorets » et « Métalliste » de Kharkiv. Les villes d’Odessa et de Kharkiv n’ont jamais été considérés comme « nationalistes ».

Si on suit la logique des événements, on voit bien qu’aucun massacre n’a été prémédité, pas par les « nationalistes » au moins, puisque ce sont les pro-russes qui ont attaqué en premier en utilisant des armes à feu, mais Mr Moreira a déjà donné son verdict définissant les coupables qu’il stigmatise « des néonazis ». Et si, au contraire, ce massacre et encore le mensonge a été prémédité par le Kremlin pour encourager les russes partir au Donbass combattre les Ukrainiens? Certains « volontaires » russes au Donbass avouent que le massacre d’Odessa a été décisif pour les faire partir.

D’ailleurs ce sont certains d’eux qui ont aidé les pro-russes dans le bâtiment en feu à descendre, sauvant leur vie, ce qu’on voit même sur les images du documentaire, par contre M. Moreira oublie de le dire dans les commentaires. Bien évidemment, il n’y avait pas que des gentils, beaucoup d’autres activistes « pro-ukrainiens » étaient furieux, à cause de ce qui s’était passé dans la journée, et ils portaient des coups aux pro-russes blessés.

D’après l’ONG « Groupe du 2 mai », les conclusions importantes au sujet de l’incendie dans le bâtiment des syndicats le 2 mai 2014 démontrent le cynisme total de la machine de propagande russe dans ses tentatives délibérées d’attiser la haine et le désir par les mensonges au sujet du massacre commis ce jour-là. Le documentaire de Moreira suit minutieusement la ligne élaborée par la propagande russe.

Il est à noter que l’auteur de ce filme oublie de dire qu’il y avait des néo-stalinistes à la manifestation pro-russe à Odessa, c’est-à-dire des supporteurs d’un dictateur sanglant, coupable de la mort de 66 millions d’hommes, d’après l’estimation d’un écrivain et dissident russe Alexandre Soljenitsyne, l’auteur de L’Archipel du Goulag. En 1945 il a été condamné par le pouvoir soviétique à huit ans de prison dans les camps de travail pénitentiaire pour « activité contre-révolutionnaire ».

J’ai aussi noté une manipulation lors du choix des interviewés. Du côté des pro-ukrainiens M. Moreira discute avec le leader d’un groupe nationaliste ou encore avec un jeune activiste, par contre du côté pro-russe il évite de montrer ceux qui étaient responsables de la violence, qui tiraient des Kalachnikovs, il parle avec des gens âgés. Coïncidence ou scénario du filme, écrit par avance?

L’auteur a retrouvé la mère d’un pro-russe tué, mais il n’a pas retrouvé des parents des fans de foot, pro-ukrainiens, tués par balles de Kalachnikov par des pro-russes juste au début des affrontements. Encore une coïncidence? Bien sur, Moreira n’a rien dit à propos des citoyens russes qui ont été arrêtés suite au drame, puis relâchés, donc son documentaire n’est ni exhaustif, ni impartial.

On passe à un autre élément choquant du récit de Moreira, qui, cette fois, va plus loin que la propagande du Kremlin. On sait bien, que la plupart des activistes ukrainiens tués pendant les événements de Maidan étaient des gens ordinaires, pas radicaux. Sur la liste des victimes on trouve des agriculteurs, des étudiants, des scientifiques, des professeurs, des retraités, des peintres, des journalistes, des sportifs, des activistes civiques. Mais pas pour Moreira. Lui, il dit que c’étaient souvent des membres des milices paramilitaires.

Il a bien vu que ces activistes avaient que des boucliers, des casques et des bâtons comme moyens d’autodéfense, ils n’étaient pas armés, la plupart des activistes ont été tués d’une balle dans la tête ou dans le coeur. L’auteur devait bien savoir que la liste des activistes massacrés sur la place de l’Indépendance est disponible sur la Wikipédia, mais il a préféré de sévir encore la version de la Première chaîne de télévision russe.

Et d’un coup des portraits des victimes de Maidan, qualifie de « paramilitaires », Moreira passe aux « miliciens vivants », en nous montrant une affiche de campagne électorale de Yuriy Syrotiuk, un politicien nationaliste du parti Svoboda, ancien journaliste. Il a par ailleurs une raison familiale d’être nationaliste anti-Moscou et pro-Europe parce que ses deux grands-pères ont été fusillés par le régime de Staline et son père a survécu la déportation en Sibérie. En 2015 Yuriy Syrotiuk a été arreté, accusé d’avoir participé à des affrontements près du parlement et mis en prison.

Pourtant, Yuriy Syrotiuk n’a pas été apperçu aux rangs des bataillons volontaires ou avec des armes en mains. Ou Moreira trouve-t-il la raison de l’appeler « un paramilitaire », cela reste à deviner. Il reste à attendre des explications de l’auteur.

Ensuite le documentaire nous montre le blocus de la Crimée par des activistes nationalistes ukrainiens. Moreira ne précise pas pour une raison inconnue que c’étaient les Tatars de Crimée à l’initiative de le blocus pour protester contre les représailles et les arrestations des activistes tatars en Crimée ainsi que contre la persécution des médias des Tatars de Crimée. Il paraît que rôle de Moreira c’est de montrer qu’il n’y a que des nationalistes en Ukraine.

Mais il ne s’arrête pas là, il va encore plus loin pour compléter son récit d’un mensonge honteux. Il prétend que les nationalistes ont « repris contrôle entre l’Ukraine et la Crimée ». Ensemble avec les Tatars ils bloquent le passage à la péninsule annexée par la Russie, mais ils ne contrôlent pas la frontière. C’est toujours les gardes aux frontières qui contrôlent la frontière. Pour dramatiser, Moreira évoque l’intention « d’affamer la Crimée » dans les pires traditions « de son cousin de la télévision russe » Dmitriy Kisiliov.

Par ailleurs, Paul Moreira répète la position du Kremlin que « la population de la Crimée a massivement voté au référendum son allégeance à la Russie ». Pas un seul mot sur l’occupation de la Crimée par les militaires russes, les « hommes verts », des militaires sans insigne. Pourtant Poutine a reconnu plus tard que c’étaient des soldats russes. Donc, il s’agit bien de l’occupation du territoire d’un état souverain par un régime expansionniste. Mais pas dans les yeux de Canal+.

La plus grande lacune dans le documentaire c’est la guerre dans le Donbass. Pourtant l’agression militaire russe explique la radicalisation d’une partie de la population ukrainienne et la création des bataillons de volontaires pour aider une armée affaiblie.

L’auteur s’est tellement pris la tête avec des nationalistes ukrainiens et avec l’idée de trouver un lien avec néonazis qu’il a oublié de voir, ou refuse de voir, des vrais néonazis… russes dans la Donbass, qui étaient venus pour tuer des ukrainiens qui défendaient l’intégrité territoriale du pays. De nombreux représentants des groupes néonazis, monarchiste, tsariste russes combattent l’armée ukrainienne et ils ne se cachent pas. Mais Moreira évite de les décrire et pourtant c’est un élément important ce conflit.

Il faut aussi indiquer à M. Moreira que le drapeau d’Azov ne flottait pas sur Maidan comme le mouvement a été créé plus tard, ce que j’ai indiqué plus haut. Par une simple manipulation le symbole d’Azov qui ressemble, d’après l’auteur, à un symbole utilisé par les nazis, quoique ce ne soit pas le même symbole, lui sert comme prétexte pour parler des massacres qui n’ont rien à voir avec les nationalistes ukrainiens.

En analysant le documentaire je suis parvenu à la conclusion que l’auteur ne pouvait par être incompétent à un tel point, il se rendait bien compte de ce qu’il faisait. Il doit bien savoir que les propagandistes de Poutine n’arrêtent pas de dessiner dans le Photoshop des photos des soldats du bataillon Azov avec un drapeau nazi ou encore de filmés des fausses déclarations d’Azov. Ces publications d’habitude sont vite démenties. Le site StopFake est spécialiste en cela. Mais ça ne dérange pas le propagandiste du Canal+. Il inclut des fausses photos, qui n’ont rien à voir avec l’Ukraine, dans son reportage, mentionnant que les « photos semblent être authentiques ». C’est le comble du manque de professionalisme, une sale propagande pour les autres.

Son affirmation qu’Azov fabrique une nouvelle génération de chars fait vraiment rire aux larmes. Ils peuvent réparer des vieux chars, les mettre à jour mais surtout ne pas en fabriquer. C’est une incompétence flagrante du journaliste qui ne sait pas de quoi il parle. Mais bon, peut-être il sait bien pourquoi il parle de ça, et qu’est-ce que cela lui rapporte. Moreira accentue que « des bandes d’extrême droite produisent des armes lourdes » ce qui est un mensonge. L’image des soldats d’Azov, faisant partie des forces Armées de l’Ukraine, une bande d’après l’auteur, qui réparent et mettent à jour un vieux char par une simple manipulation est utilisée comme prétexte pour avancer un mythe du Kremlin.

L’incompétence explose de nouveau quand Moreira dit que « le gouvernement les a armé, mais ils n’ont jamais rendu les armes ». À quoi bon ils doivent rendre les armes s’ils sont devenus des militaires sous contrat officiel? Dans quel pays les militaires rendent les armes au gouvernement parce qu’un propagandiste au service d’un régime autoritaire le veut?

À propos du financement d’Azov, l’auteur cite son chef Andriy Biletskiy pour chercher des preuves que la population soutient l’extrême droite: « bon, si on parle finances, en ce qui concerne l’armement, il nous est fourni par l’État ainsi qu’une partie de notre équipement. Tout le reste est le fruit du travail des activistes parmi lesquels il y a des petits et des moyens businessmans qui investissent de l’argent et qui rendent tout cela possible. »

Je me sens obligé de dévoiler une chose à Moreira, une chose qui peut paraître un peu bizarre pour les Français: l’armée régulière ukrainienne est encore plus aidée en équipement par des activistes, par des bénévoles. Des vêtements militaires fournis par des activistes, du monde entier. Le pays étant pauvre et le gouvernement restant corrompu, les forces armées sont mal financées. L’armée de l’Ukraine a été délaissée, négligée, malmenée pendant une longue période de 23 années car personne ne s’attendait à une guerre. Et maintenant, avec la crise, les moyens leur manquent. Les soldats manquent du plus nécessaire. Moreira a ignoré ces faits. D’autant plus qu’en aidant Azov les gens aident l’armée dont le régiment fait partie.

Le film propagandiste nous parle toujours des « véritables armées parallèles, largement incontrôlées ». Azov fait partie de l’armée, donc il est contrôlé par le ministère de la défense. Presque tous les bataillons volontaires ont été intégré au Ministère de l’Intérieur pour devenir des policiers des forces spéciales. Beaucoup d’anciens combattants du Secteur droit ont rejoint de différente divisons de l’armée. De quoi l’auteur parle-t-il?

Je dois reconnaître que Moreira a du talent comme propagandiste. Il choisit bien les personnages du filme, il ne parle pas avec des politiciens qui expriment une vision modérée au sein de la droite, il ne parle pas à d’autres partis, plusieurs fois plus populaire que Svoboda, il fait son mieux pour interviewer des politiciens marginalisés. M. Moreira a décidé donc de rencontrer Igor Mossiytchouk, un député du Parti radical, activiste nationaliste à l’époque, qui s’est fait arrêter en pleine session du parlement pour une affaire de corruption. Bien que l’auteur le présente comme porte-parole du Secteur droit, il ne l’était pas. Oui, il faisait partie des groupuscules nationalistes mais jamais il occupait un poste au Secteur droit.

L’auteur essaye sans cesse de nous convaincre que les milices (les nationalistes) sont largement incontrôlées, mais on ressent une dissonance cognitive quand on l’entend raconter que M. Mossiytchouk est venu défendre un milicien jugé par un tribunal de Kiev. Donc, pas tellement incontrôlés, M. Moreira, non? Et puis on voit Mossiytchouk en train d’être arrêté au parlement, donc, vraiment vous avez vu un manque de contrôle là?

Moreira essaye de nous induire en erreur de compréhension quand il souligne que Mossiytchouk est le premier leader d’extrême droite qui est allé en prison. Il n’était pas vraiment leader, il ne représentait un parti d’extrême droite au parlement, et en plus, l’auteur fait semblant d’ignorer qu’il y a des dizaines d’activistes nationalistes en prison en ce moment. Vraiment incontrôlés comme vous l’affirmez?

Employant une technique de manipulation linguistique, Moreira évoque « un sacrilège de parler russe » décrivant la situation impliquant un provocateur, qui visiblement joue pour les caméras, mais il ne mentionne pas que ce nationaliste Mossiytchouk, ainsi que des miliciens proches à lui, parlaient tous russe… Donc, c’est quoi ce type de nationalisme antirusse, quand on parle russe?

Ce mec, visiblement provocateur, qui vient provoquer les miliciens et qui fait un geste nazi, je précise ce n’étaient pas les nationalistes ou les miliciens qui l’ont fait, mais un inconnu qui est venu les attaquer comme par hasard devant les caméras, lui, il attire mon attention. Je me demande si c’était une simple coïncidence.

On a déjà vu des provocateurs payés jouant leur rôle pour la machine de propagande du Kremlin. Voit-on le même cas? Un mec français arborant un pseudonyme fasciste qui est venu s’entrainer avec des nationalistes en même temps que Moreira est venu filmer son sujet, est-ce une simple coïncidence? Un français, qui serait un admirateur de Mussolini, est-ce une raison suffisante pour faire un rapprochement facile et stigmatiser tous les miliciens comme « fascistes », ce que M. Moreira fait en effet? À mon avis, c’est une simple manipulation. Une mise en scène, peut-être.
Tous les groupes nationalistes ukrainiens refusent tout lien avec toute idéologie fasciste. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas certains individus qui prônent une telle vision, même s’ils ne sont pas plus nombreux qu’en France ou en Russie par exemple.

M. Moreira invente toutes sortes de liens pour stigmatiser les patriotes et les nationalistes ukrainiens comme des fascistes. Par simple coïncidence, c’est ça le discours du Kremlin. Mis en images pas seulement par Russia Today mais aussi par Canal+ maintenant.

Pour renforcer sa thèse, l’auteur souligne plusieurs fois « des gens masqués », même quand on voit des jeunes gens qui ne sont pas masqués. Il est évident qu’avant les manifestants cachaient leurs visages par peur de représailles. Les membres des bataillons volontaires, intégrés au Ministère de l’intérieur, peuvent faire ça par précaution, comme ils peuvent être visés par les séparatistes. Par répéter souvent le mot « masqués » l’auteur vise à créer une image négative des combattants ukrainiens.

Ce qui m’a fait sourire c’est quand M. Moreira essayé de convaincre le ministre de l’Économie A. Abromavicius qu’il est menacé des nationalistes armés. Le ministre, visiblement ayant compris qu’il se trouve devant un propagandiste, et étourdie comme il s’attendait à ça de la part d’un journaliste français d’une chaîne renommée, le met vite à sa place, disant que 99,9% du pays mène une vie normale, il interpelle le journaliste, laissant comprendre qu’il n’est pas menacé par une droite, comme Moreira ne cessait pas de dire.

Le documentaire présente Svoboda et Secteur droit comme des forces politiques importantes, incontrôlées par le gouvernement, ou même qui influence le gouvernement, ce qui fait copier-coller le discours du Kremlin, en fait. En réalité, les partis nationalistes ont échoué aux élections parlementaires en octobre 2014, ainsi qu’aux élections régionales en octobre 2015, dans toutes les régions.

« La révolution a engendré un monstre? », pose une question dramatique l’auteur du documentaire propagandiste. Pour quelle raison vous dites un monstre? Et non, ce n’était pas la révolution mais l’agression militaire russe qui a provoqué la formation des bataillons paramilitaires, puis rattaché aux ministères de l’intérieur et de la défense. Souvenez-vous la suite de la révolution orange. Il n’y avait pas de groupes nationalistes, de bataillons. Vous savez pourquoi? Parce qu’il n’y avait pas d’agression de la police contre les manifestants et il n’y avait pas d’agression externe contre le pays. Mais Canal+ vous le dira pas.

Les partis d’extrême droite (ou de gauche) surfent toujours sur des crises. La déception de la population de « la coalition orange » et la crise économique ont contribué à faire monter le parti Svoboda qui est entré au parlement pour la première fois en 2012 (mais avec seulement 38 députés sur 450).

Au temps de guerre, c’est une tendance tout à fait naturelle que les nationalistes partent combattre l’armée étrangère qui a violé la souveraineté de leur pays. Et pas seulement les nationalistes, des patriotes tout simplement. Les patriotes français sont aussi partis combattre les nazis pendant la guerre, peut-on appeler ces hommes des nationalistes ou, pardonnez-moi, des nazis ? Non, ils défendaient leur pays.

Le discours de M. Moreira change d’un coup quand il raconte des étrangers qui viennent au Donbass combattre l’armée ukrainienne. Pour lui ce sont des « volontaires étrangers », des bénévoles, quoi. Je répète, des miliciens d’extrême droite qui partent combattre l’armée régulière d’un pays souverain avec des armes lourdes, sont appelés « des volontaires ». D’après la loi internationale ils ne seraient pas autres que des « terroristes », des « mercenaires ». Donc, l’auteur se montre favorable au terrorisme international.

En même temps, les Ukrainiens qui défendent leur pays sont appelés des « milices » avec une allusion aux « fascistes ». C’est exactement la vision de Moscou, diffusée par Russia Today, Lifenews et Itar-Tass. Moreira prétend avoir montré un filme révélateur mais je dois révéler une chose, complètement oubliée, une chose qui devrait intéresser la société française. Il s’agit de l’existence des brigades armées françaises d’extrême droite qui combattent l’armée ukrainienne aux côtés des pro-russes et des Russes. Ils se croient combattre en Ukraine « l’Union Européenne » et « le nouvel ordre mondiale ». Voici quelques liens utiles: https://www.youtube.com/watch?v=8J_U18iHx8Y https://www.youtube.com/watch?v=1fx1mxMLIzs https://www.youtube.com/watch?v=Dv21370hrqE

L’autre point de vue troublant dans le filme qui correspond parfaitement avec la vision de Moscou c’est la focalisation démesurée sur le rôle des États-Unis. On voit des allusions toujours indirectes, des images qui ne prouvent rien, des fonctionnaires américains aux rendez-vous en Ukraine, ce qui n’est pas quelque chose d’anormale. Bien sûr, les États-Unis ont leur intérêt géopolitique en Ukraine. Bien sur, l’Ukraine a besoin du soutien de l’Europe comme des États-Unis devant l’agression de Moscou. Vouliez-vous que l’Ukraine reste seule face à l’armée de Poutine? C’est ce que ce dernier veut aussi. Et c’est pour cette raison qu’il paye la création des vidéos de propagande anti-Ukraine et ukrainophobes pour que l’Ouest tourne son dos à Kyiv.

L’aspect historique dans le filme cloche aussi. « À l’époque de l’Union soviétique les Russes et les Ukrainiens se sont beaucoup mélangés », dit l’auteur sans préciser le contexte et les événements. Mais comment cela s’est-il passé? Holodomor, les massacres de Staline, les goulags? Vous n’en parlez pas? Pourquoi vous cachez la vérité à votre audience?

Sous la dictature soviétique de Moscou les Ukrainiens souffraient des représailles, ils étaient tués en masse, exterminés par une famine artificielle, déportés vers Sibérie, Moscou leur a interdit de parler leur langue, l’ukrainien. Puis les villes ukrainiennes ont été peuplées par une population venant de la Russie. C’est ce que Moreira appelle « se sont mélangés ».

Pour finir, je fais une petite remarque linguistique. Ce n’est pas correct de dire « la place Maidan », comme on entend dans ce filme. « Maidan » veut dire « une place » en Ukrainien. Donc, vous dites « la place Place ». En réalité c’est la place de l’Indépendance » à Kyiv.

Pour résumer, Moreira a décidé de reprendre des éléments de la propagande de Poutine, mais un peu dans un gant de velours, pour la vendre aux Français. Pour cela il ne dédaigne pas l’utilisation de techniques de montage manipulatives, des distorsions des faits, des parties prises, des fausses interprétations, l’utilisation de phrases-pilliers de campagne propagandiste contre l’Ukraine, et même des éléments de l’ukrainienne et des mensonges nets.

Le travail de l’auteur du filme a consisté à caricaturer à l’extrême les preuves qu’il avait fabriquées, pour prouver que le théorie de Moscou est fiable. Moreira a dû complaisir à Poutine et aux élites du Kremlin. Les médias propagandistes de Moscou doivent l’applaudir. Ils peuvent maintenant montrer avec plaisir à l’audience russe que la chaine française Canal+ soutient leur position sur l’Ukraine.

Mais ce que Moreira et le Kremlin voyaient comme une bombe d’information n’a pas fonctionné. Elle a explosé et s’est tournée contre eux, et contre la chaîne Canal+ qu’on ne va plus jamais voir comme une chaîne indépendante, honnête et impartiale. Moreira a beau se fatiguer en masquant la propagande du Kremlin sous la couverture de Canal+, ses mensonges et ses manipulations seront exposés, tôt ou tard. Le documentaire n’a pas pu duper les gens, car il y a des dizaines de journalistes, des connaisseurs de l’Ukraine qui se sont indignés, qui se sont exprimés pour démistifer la propagande de Moscoueira.

Par MICHEL CH

Source: LE BLOG DE MICHEL CH sur MEDIAPART

Photo:  Les miliciens pro-russes tirent sur les supporteurs de foot et les manifestants pro-ukrainiens, ce que le filme de Canal+ vous a caché.