Les actualités dans la rubrique «Contexte» sont pas des fakes. Nous les publions pour vous informer des événements de la guerre d’information entre l’Ukraine et la Russie.

Les déclarations de la sénatrice Nathalie Goulet, concernant l’existence d’un camp d’entraînement de combattants de DAESH « au milieu de l’Ukraine » font scandale et laissent beaucoup de questions non résolues. Comment se fait-il que cette déclaration controversée, évoquant la présence de terroristes, soit apparue à l’antenne d’une émission de radio sur France Inter, juste après les attentats terroristes en Belgique? Et tout cela, au moment où la haine contre les islamistes radicaux est à son maximum en Occident ? Pourquoi, ensuite, le service de sécurité ukrainien ne se dépêche-t-il pas de contester ces informations? Et comment se fait-il que cette affaire éclate en même temps qu’une campagne de lobbying pro-Kremlin  à la gloire de « l’armée russe  qui a aidé la libération de Palmyre »?

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« Là, personne ne m’écoute, mais d’ici six mois, vous allez vous rappeler que j’en avais parlé ! » – a déclaré Nathalie Goulet, sénatrice d’UDI UC, à l’antenne de l’émission AGORA sur France Inter. Il existe un camp d’entraînement de djihadistes au milieu de l’Ukraine. A savoir que la deuxième langue parlée de DAESH est le Russe. Imaginez : il s’agit d’un camp d’entraînement juste aux portes de l’Europe! Ce réseau corrompu est financé par tous ces trafics d’êtres humains, d’œuvres d’art… »

Ces propos ont sérieusement agité le monde de la presse et la blogosphere. Ça se comprend ! Les Français se sont à peine remis des attentats belges, et se souviennent toujours des événements du mois de novembre dernier à Paris. Or ces propos conduisent à faire un amalgame : l’Ukraine qui nous empêche d’avoir des relations commerciales fructueuses franco-russes, possède de camps d’entraînement de ceux qui tuent des Européens innocents. A la veille du référendum aux Pays Bas, c’est d’autant plus inapproprié, que selon le Ministère des Affaires étrangères ukrainien, tout cela ne correspond aucunement à la réalité.

« Nous sommes profondément préoccupés par cette déclaration «sensationnelle», faite par la sénatrice Nathalie Goulet, commente-on à l’Ambassade d’Ukraine en France. Son affirmation de l’existence d’un camp d’entraînement de DAESH “au milieu de l’Ukraine” n’a rien à voir avec la réalité. Les propos de Nathalie Goulet sont particulièrement inappropriées dans le contexte actuel, alors que les Français, les Belges, les Ukrainiens et des citoyens d’autres pays du monde sont victimes d’attaques terroristes et sont unis dans leur lutte contre la terreur. » Cette mauvaise coïncidence laisse supposer le pire. En particulier, elle incite à se demander si quelqu’un n’a pas cherché à salir la réputation de l’Ukraine, au profit du Kremlin ?

Tyzhden a demandé à Nathalie Goulet, où exactement, ce camp se trouve selon ses informations? Qui s’entraîne la-bas? Et quelle est la source de son information. « Le camp est situé dans la région de Dnipropetrovsk, a indiqué la sénatrice. Il abrite des ressortissants du nord du Caucase et d’Asie Centrale. Des Tchétchènes, des Turcs et des Jordaniens s’entraînent là-bas. Ces informations viennent du chef du service de sécurité ukrainien, Vassyl Hrysak … »

Selon Madame Gouet, c’est le chef du SBU qui est à l’initative de cette rencontre. M. Harfouch était «le contact en France du chef du service de sécurité Ukrainien» et c’est lui qui aurait organisé la rencontre. « M. Hrysak m’a donné un dossier, que j’ai transmis au service de sécurité français, comme il me l’a demandé. Mais encore une fois, je n’ai servi que de courroie de transmission ». « Renseignez-vous auprès du service de sécurité ukrainien,» a-t-elle conseillé.

Une tentative d’obtenir plus d’informations auprès du premier secrétaire de l’ambassade d’Ukraine en France, responsable de la coopération avec les services de renseignement et les forces de l’ordre en France, Igor Melnichuk, n’a pas permis d’en savoir plus. « Je n’étais pas à la réunion, je n’ai pas participé à son organisation», a-t-il confié à Tyzhden. Les tentatives d’obtenir des explications auprès du service de presse du survice de sécurité ukrainien (SBU) à Kiev ont été aussi sans succès. Le porte-parole de cet organisme Olena Hitlyanska, a expliqué brièvement qu’il n’y a en Ukraine aucun camp identifié dans lequel des combattants de DAESH seraient en train de s’entrainer. En revanche,  le SBU a investi l’an dernièr à Dnipropetrovsk un appartement qui hébergeait temporairement des volontaires de l’État islamique. Il a aussi récemment dévoilé quatre centres qui servaient de soutien de DAESH, a-t-elle dit.

On se réjouit, bien sur, que ces opérations aient été un succés. Mais le SBU n’a pas répondu par ailleurs, aux questions de Tyzhden: est-ce que la sénatrice a vraiment reçu un dossier, de la part de leur chef, mentionnant l’existence d’un camp d’entraînement de terroristes en Ukraine? De plus, est-ce que la rencontre a été organisée par Omar Harfouch? Selon une information obtenue d’un  collègue parisien, Mme Goulet a transmis le dossier qui contient des informations sur ce camp, et dont elle avait l’air de ne pas douter de l’existence, à un hebdomadaire français. À l’appui de ses paroles la sénatrice montre une photo de la carte de  visite de Vassyl Hrisak

Finalement, Olena Hitlyanska a confirmé que la rencontre entre Vasyl Hrytsak et Nathalie Goulet a bien eu lieu. Cependant, dit-elle, le thème de cette rencontre était tout à fait autre que celui mentionné. Et la porte-parole n’a pas précisé lequel. Elle n’a donné aucune information non plus sur la participation présumée à ces discussions d’Omar Harfouch. Tyzhden a envoyé une demande officielle au chef du SBU et attend des explications détaillées.

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En l’absence d’informations précises, on peut tout de même faire quelques suppositions. La participation d’Omar d’Harfouch dans cette étrange histoire est possible. Il connaît, en effet, Nathalie Goulet. La preuve en est qu’en Juin dernier, ils ont organisé ensemble au Sénat une conférence intitulée «L’Ukraine: quelles perspectives pour la démocratie»? L’Ukraine était représentée à cette conférence par deux intervenants, grands experts en démocratisation, et qui se nomment Yuriy Boyko et Vadim Rabinovich (deux personnages liés au clan Ianoukovitch, note de la traductrice). Omar Harfush a aussi un long passé de collaboration avec les membres de l’ex-parti des Régions de Viktor Ianoukovitch. Rappelons-nous comment, pendant la Révolution Orange, entre le deuxième et le troisième tour, il a fait venir en Ukraine pour soutenir Ianoukovitch son ami Robert Menard, à  l’époque dirigeant de « Reporters sans frontières ». Le même est maintenant un maire d’extrême droite très controversé de la ville française de Béziers et un sympathisant déclaré de Marine Le Pen. Le frère d’Omar, Walid, a coordonné les relations avec les journalistes étrangers du candidat Ianoukovitch, lors de la campagne électorale de 2010. Tyzhden a tenté de contacter Omar Harfush par téléphone pour obtenir des éclaircissements, mais n’a pas obtenu de réponse de l’intéressé.

On pourrait en rester là sur cette histoire. Mais le contexte oblige à aller plus loin. Car ces informations négatives sur l’Ukraine apportent de l’eau au moulin de Moscou, et favorisent, de toute évidence, les intérêts de l’équipe de Viktor Ianoukovitch qui est ravi lorsque se présente une occasion de discréditer le gouvernement en place à Kiev. Les circonstances étranges dans lesquelles est apparition cette information, au sujet de terroristes islamistes qui surentraîneraient « quelque part près de Dnipropetrovsk », donnent à penser que Mme Goulet a été utilisée à son ainsu par des spin-doctors plutôt habiles. Cela fait peser une lourde responsabilité sur l’Ukraine et c’est avantageux pour ceux qui poussent en France pour obtenir la levée des sanctions contre la Russie, en particulier en profitant de la « libéralisation de Palmyre des djihadistes grâce aux armes russes». Le chef du SBU ukrainien, bien sûr, a droit à une vie privée

C’est à lui de décider qui il engage comme «personne de contact» en France, le représentant officiel de son service dans le pays ou bien un ami privé. Mais la vie privée se termine là où elle cause des dégâts à l’intérêt public. On peut constater que l’image de l’Ukraine, intentionnellement ou non, est endommagée par le scandale autour de ce camp de terroristes, d’autant que la source de ces informations ou de cette désinformation n’est pas claire.

Par Alla Lazareva

La source Ukrainskyi Tyzhden