Le nouveau maître de Moscou s’attache à reconstruire une internationale qui passe en France par le Front National, comme le montre «Les réseau du Kremlin en France», un livre enquête de Cécile Vaissié qui vient de paraître.

Universitaire spécialiste de la Russie Cécile Vaissié publie une enquête fouillée sur «Les réseaux du Kremlin en France» (1). Elle dévoile les multiples relais sur lesquels s’appuie le régime russe pour tenter de devenir un pôle d’attraction face à l’occident. En prenant de nombreux exemples et en dressant quelques portraits hauts en couleur, elle dévoile les contours de ce qui ressemble à un nouveau Komintern.

À la différence de celui qui a existé au temps de l’Union soviétique, cependant, celui-ci s’appuie plutôt sur des valeurs conservatrices et tente de fédérer autour de la Russie les partis souverainistes européens et mise donc en premier lieu, en France, sur le Front National (lequel a pu facilement emprunter de l’argent en Russie) et sur la droite des Républicains (qui a multiplié les missions d’élus à Moscou et les protestations contre les sanctions). Il va aussi chercher des soutiens dans les cercles les plus divers. Le livre dévoile les rouages de ce travail d’influence.

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Des enfants brandissent des portraits de Vladimir Poutine le jour du Défenseur de la Mère patrie à Sébastopol en Crimée, le 23 février 2016. Max Vetrov / AFP

Il nous raconte notamment comment le régime Poutine, dès ses origines, s’est efforcé de gagner le soutien de l’ancienne émigration blanche, et y a réussi en mettant en place une «Union des compatriotes», une organisation structurée et largement financée qui est devenue un relais efficace des intérêts du pouvoir russe à l’extérieur de ses frontières. Elle détaille la naissance et le fonctionnement de cette organisation et note, avec une certaine ironie, que la Russie pourchasse, chez elle, les «agents de l’étranger»…

Cette histoire, l’un des moments forts du livre, permet de comprendre à quel point l’effort d’influence de la Russie au sein des pays occidentaux s’appuie sur un travail profond, engagé de longue date. On découvre au passage des « princes » russes plus ou moins authentiques qui s’emploient en faveur du régime russe actuel contre quelques honneurs ou des bénéfices plus concrets…

Cécile Vaissié s’intéresse aussi aux « usines à trolls » et aux médias russes qui diffusent en Français. Elle donne une idée de l’effort financier du Kremlin pour soutenir cette machine de propagande. Elle analyse ses méthodes, dont la première est le « relativisme » (qui consiste à mettre en face de chacune des accusations visant la Russie une autre accusation supposée équivalente et visant le « camp occidental », de façon à laisser croire que « tout se vaut »).

Chemin faisant, Cécile Vaissié pointe la complaisance de certains commentateurs français, tels Hélène Carrère d’Encausse, qui a pu affirmer que le KGB rassemblait l’élite russe « comme l’ENA en France ». Pourtant « les énarques, quels que soient leurs défauts, n’ont jamais eu à fouiller les bacs à linge sale de leurs compatriotes à la recherche d’œuvres littéraires interdites », s’agace Cécile Vaissié.

L’auteur nous livre également quelques anecdotes affligeantes. Ainsi quand elle raconte, par exemple, comment, dans les papiers abandonnés dans la maison de l’ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch, fut retrouvée une facture de 5 000 € versés au journaliste français Dimitri de Kochko, à l’époque toujours employé à l’AFP. Il avait reçu de l’argent pour organiser en France le séjour de quelques députés du Parti des Régions, venus pour y défendre l’image du régime ukrainien…

Et Cécile Vaissié de s’interroger : alors que, par la suite, Dimitri de Kochko a été régulièrement invité sur les plateaux de télévision, « pouvait-il intervenir sur l’Ukraine dans les médias, en se présentant comme journaliste, alors qu’il a été payé par des instances apparemment très proches de l’ex-président Ianoukovitch ? »

Au croisement des réseaux qui s’activent en faveur de la Russie, on retrouve quelques personnages omniprésents. Du côté russe, ce sont deux milliardaires, dont l’un, Vladimir Yakounine, est très proche de Vladimir Poutine, tandis que l’autre, Constantin Malofeev, agit de façon plus indépendante mais jamais contre les intérêts du Kremlin.

Du côté français, on y trouve une cohorte d’« idiots utiles » dont l’auteur donne les noms et liste les méfaits, de Jacques Sapir à Alexandre Latasa, en passant par Thierry Mariani ou Gérard Depardieu. Cécile Vaissié est professeur en études russes à l’Université de Rennes 2. Elle est l’auteur de plusieurs livres consacrés aux rapports entre la culture et le pouvoir en Russie. Elle a notamment publié un livre sur l’histoire du mouvement des dissidents,  Pour votre liberté et pour la nôtre, paru chez Robert Laffont en 1999.

Avec ce nouveau livre, elle s’attaque à un sujet très contemporain. Mais on sent, dans son réquisitoire, quelque chose de libérateur. Comme si ce texte était né d’une colère trop longtemps contenue, et qui avait besoin de s’exprimer, dans un exercice destiné à réveiller nos consciences endormies par ce poison quotidien.

Quelques articles de presse ont déjà tenté de mettre en évidence l’existence, en France, d’une nébuleuse pro-Poutine. Mais le livre de Cécile Vaissié va beaucoup plus loin. D’abord parce qu’il relie cette nébuleuse à ceux qui, en Russie, la financent et l’organisent. Ensuite parce qu’il fournit un large panorama de cette coalition d’intérêt à l’œuvre au sein des « réseaux du Kremlin en France ». Enfin parce qu’il dévoile les ressorts de cette action, ce qui est la meilleure façon de nous apprendre à ne pas tomber dans le panneau de la désinformation venue des « usines à trolls » de Monsieur Poutine.

(1) LES RESEAUX DU KREMLIN EN FRANCE, Cécile Vaissié, Editions Les Petits Matins, 392 p., 19 €, en librairie à partir du 17 mars.

Par: Renaud Rebardy

La source:   Le blogue Comité Ukraine, Libération