Internet regorge de fausses informations en lien avec la santé.
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Laurent Chambaud, École des hautes études en santé publique (EHESP) – USPC

Ce texte est publié dans le cadre du colloque « Santé et désordres de l’information : impacts et solutions », organisé le 20 juin par la Conférence des Présidents d’Université. Cette journée d’échange est consacrée aux impacts, pour la santé publique, des désordres de l’information, ainsi qu’aux différents leviers mobilisables afin de répondre à cet immense défi sociétal.


Désinformation, post-vérité, fake news, infox… Depuis quelques années ces termes font régulièrement les gros titres des médias. Le secteur de la santé est particulièrement menacé par la montée en puissance de forces politiques qui n’hésitent plus à prendre des décisions en s’appuyant sur des contrevérités dénoncées par les milieux scientifiques. Avec des conséquences qui peuvent s’avérer désastreuses en termes de santé.

Laurent Chambaud, directeur de l’École des hautes études en santé publique, revient pour The Conversation sur les dangers potentiels de cette ère de « post-vérité ».

Les questions de santé sont-elles particulièrement vulnérables aux désordres de l’information ?

La santé est un domaine qui se prête bien aux nombreuses dérives de l’information. Ce n’est pas pour rien que près de la moitié des fake news qui circulent touchent de près ou de loin ce domaine. Pour l’expliquer plusieurs hypothèses, pouvant se combiner entre elles, existent :

  • les sujets liés à la santé sont particulièrement sensibles car ils traitent de notre intimité, de notre vulnérabilité face à la maladie et à la mort. C’est donc un terreau qui peut être très fertile pour « accrocher » des publics et développer des thèses en espérant une grande diffusion, voire une véritable « contamination » ;
  • la santé est un marqueur médiatique important. Les questions de santé intéressent fortement tous les publics, toutes les populations. La floraison des discours et pratiques autour du bien-être, de la santé globale ou holistique répond à une demande sociétale, peut-être en réaction à une médecine que l’on perçoit de plus en plus spécialisée et de plus en plus déshumanisée ;
  • Le sujet sensible des « scandales sanitaires », qui revient régulièrement à la une des journaux, alimente probablement aussi un sentiment diffus de méfiance, désormais ancré dans le temps (catastrophe de Tchernobyl en 1986, sang contaminé en 1991, maladie de la vache folle en 1996…).

Une autre explication, plus intime, touche à notre approche en santé publique. Nos réactions face à la santé ne sont pas dictées uniquement par un raisonnement rationnel. Le fait d’être exposés à de telles informations, la plupart du temps de manière répétée, peut avoir un impact sur nos attitudes et comportements, aujourd’hui encore peu mesuré.

Quels sont les exemples les plus emblématiques de fake news ayant trait à la santé ?

Le domaine est immense et seulement limité par notre imagination! De fausses informations peuvent circuler à propos de chaque pathologie ou chaque intervention en santé. Elles sont largement véhiculées, et même priorisées par les moteurs de recherche : les 5 premières réponses à la requête Google « guérir le cancer par » sont le jeûne, les plantes, l’alimentation, la pensée positive et l’hyperthermie. Il y a matière à réflexion !

Le sujet de la vaccination est assez exemplaire de la complexité de ce sujet. D’une part, le monde scientifique a été fortement déstabilisé par « l’affaire Wakefield », du nom de cet ex-chirurgien et chercheur britannique qui a publié en 1998 dans la prestigieuse revue The Lancet un article établissant un lien entre le vaccin ROR et une forme d’autisme. Cette publication a été largement reprise pour semer le doute sur les vaccins en général, avant qu’il soit démontré que ses données avaient été falsifiées. En outre, il a été révélé qu’Andrew Wakefield avait des liens étroits avec les lobbies anti-vaccins. Son article a été retiré du Lancet seulement en 2010 (après plusieurs années d’enquête), et Wakefield radié par le Conseil de l’ordre des médecins britannique.

Cette affaire a entraîné de la méfiance, mais elle a aussi questionné fortement la notion d’éthique et d’intégrité scientifique, ce qui a permis des avancées importantes en termes de prévention et de protection.

Autre élément à prendre en compte: la méfiance générale à l’égard des vaccins, encore très présente en France, et qui touche aussi le corps médical.

Peut-être doit on interroger les modes d’informations du public: peut-on laisser les compagnies pharmaceutiques, fabricants de ces vaccins, vanter les mérites de la vaccination aux côtés, voire à la place des pouvoirs publics ? La France a choisi une réponse forte des pouvoirs publics par l’obligation vaccinale, mais il faut continuer à travailler sur les représentations et les modes de transmission des faits scientifiques. Les professionnels de santé ont sur ce point un rôle majeur à jouer.

Au-delà des risques directs, les fake news ont des effets délétères moins immédiatement évidents…

Effectivement, ces fausses informations peuvent avoir des impacts, et probablement à plusieurs niveaux. Tout d’abord, et ce n’est pas spécifique à la santé, en introduisant un doute permanent sur les connaissances scientifiques. Les adeptes de la « post-vérité », du complotisme trouvent ainsi une base de dissémination pour « expliquer » à quel point les scientifiques nous manipulent et nous trompent. C’est ainsi que 32 % des Français peuvent penser que le Sida a été créé en laboratoire et testé sur la population africaine!

Au niveau de la santé, ces théories peuvent apporter des réponses dangereuses à des problèmes réels, en particulier pour des personnes en situation de vulnérabilité. Cela peut aboutir à des diagnostics tardifs, ou à des traitements non mis en œuvre, conduisant à de véritables pertes de chances de survie ou de guérison.

Enfin, il existe un risque réel de profiter de la fragilité d’une personne pour l’attirer dans des groupes à caractère sectaire. Le président de la Mission interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives sectaires (MIVILUDES), rappelait récemment que le domaine de la santé représente 46 % des signalements de dérive sectaire. Ce chiffre est en croissance constante depuis 2010, il est donc nécessaire de maintenir un niveau de vigilance élevé.

Cette tendance à la désinformation menace-t-elle la démocratie sanitaire ?

Pour que s’exerce une véritable démocratie en santé, il faut que les choix dans ce domaine puissent se faire dans un processus construit en toute confiance. Cela est vrai non seulement au niveau individuel (la personne malade ou dépendante doit pouvoir être informée et ses choix, respectés), mais aussi au niveau collectif, où se jouent la mise en oeuvre des politiques de santé et l’organisation des services.

Depuis la loi de 2002 sur le droit des malades, des progrès réels ont eu lieu. Mais des menaces existent.

La démocratie en santé doit pouvoir s’appuyer sur une information la plus honnête possible. Peut-on enrayer les fausses informations ? Comment expliquer ces dérives de l’information en toute indépendance ? Comment distinguer le débat scientifique, nécessaire, de la manipulation ? Comment traiter les lanceurs d’alerte ? Peuvent-ils parfois participer à la diffusion de fake news ? Sur ces points, les médias ont probablement un rôle majeur (et compliqué) à jouer.

Le rôle des lobbys complexifie la situation. Les pouvoirs d’influence ont toujours existé, mais peuvent désormais prendre des formes nouvelles, extrêmement puissantes. On pense, bien sûr, aux efforts considérables déployés pendant des décennies par l’industrie du tabac tenter de faire passer l’idée (fausse) qu’il n’existe pas d’effet démontré du tabac sur la santé.

Récemment, des manœuvres similaires ont été déployées pour enrayer la mise en oeuvre de l’affichage nutritionnel (Nutriscore) en France : plusieurs groupes agro-alimentaires ont tenté de torpiller cet étiquetage, pourtant documenté par la littérature scientifique.

Cette désinformation peut passer également par la mise en avant de «pseudo-experts», comme ce fut le cas récemment en Allemagne à propos de la pollution atmosphérique et du rôle des moteurs diesels. 120 de ces pseudo-experts (en majorité des médecins n’ayant jamais publié sur le sujet) ont signé une tribune déclarant, à l’encontre de toutes les connaissances acquises, que les valeurs limites sur les particules fines et le dioxyde d’azote devraient être abandonnées…

Contenir l’influence des lobbies, quel qu’ils soient, est donc également une tâche indispensable si l’on souhaite assurer la démocratie en santé.The Conversation

Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP) – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.