RT (anciennement Russia Today) crée la polémique au moment où la holding russe lance sa chaîne de télévision en français. Experts et médias français la considèrent unanimement comme une chaîne de propagande, tout en appelant à ne pas la diaboliser. L’expérience de Stopfake démontre néanmoins que RT a pour habitude de naviguer entre «fake news» et propagation de rumeurs, et qu’il faudra être extrêmement vigilant sur les contenus mis à l’antenne.

Website screenshot www.francais.rt.com

Un projet d’envergure

Alors qu’aux Etats Unis RT  a été contrainte de s’enregistrer cette semaine en tant qu’«agent de l’étranger» suite notamment à des accusations d’immixtion dans la campagne présidentielle, de notre côté de l’Atlantique, l’aventure de la chaîne ne fait que commencer: RT émettra en français depuis Paris à partir de décembre.

Le groupe RT est déjà présent en France via son site internet en français, qui emploie une douzaine de journalistes, et compte plus de 460.000 abonnés sur Facebook. Mais le but ultime du groupe audiovisuel russe en France, c’est le lancement de la chaîne d’informations en continu, en projet depuis plus de deux ans. La Russie a débloqué pour cela un budget d’environ 20 millions d’euros (oui, car RT est financée à 100% par l’Etat russe), et la chaîne comptera entre 100 et 150 salariés, dont au moins cinquante journalistes. Cette chaîne sera, en Europe, le plus gros projet du groupe RT, qui compte une équipe plus réduite au Royaume uni.

Pourquoi cet intérêt pour le marché français? Parce que les francophones européens, mais aussi ceux du Moyen Orient, de l’Afrique, et du Canada, représentent un public potentiel de 700 millions de locuteurs.

Avec son slogan «Osez questionner», RT se targue, en France comme dans tous les pays où elle s’est implantée, de proposer un point de vue «alternatif», de s’opposer à l’hégémonie des médias occidentaux accusés d’être les relais de la domination américaine.

Ce projet d’envergure est susceptible de toucher des millions de personnes, souvent des audiences « contestataires » sensibilisées aux théories complotistes (il a été mis en place pour véhiculer la «vision russe» dans le monde francophone).

Une chaîne de propagande assumée

En effet personnes ne nie que RT est une chaîne qui va refléter la vision du Kremlin, et l’on évoque clairement une «chaîne de propagande», un instrument du soft power russe.

La chaîne, souvent appelée «Télépoutine», s’aligne en tout sur les positions officielles russes, et reprendra évidemment la stratégie du Kremlin consistant à mettre en avant les imperfections des pays occidentaux, à diffuser la vision d’une Europe minée par ses problèmes sociaux, économiques, et politiques. Elle relaiera des positions souverainistes, eurosceptiques et antilibérales[i], et bien entendu, une vision pro-russe du conflit en Ukraine et Syrie. Enfin, elle est adepte des théories conspirationnistes, et ne cache pas sa proximité avec l’extrême droite, qu’elle a soutenu pendant la campagne. Les sites «alternatifs» d’extrême gauche et d’extrême droite relaient souvent le contenu du site RT en français.

RT elle même ne se défend pas d’être une chaîne de propagande, c’est la «vision russe» que diffuse RT, admet Xenia Fodorova, la présidente de RT France. Et le très russophile ex-député LR Thierry Mariani d’ajouter, en sa qualité de membre du comité d’éthique de RT France, qu’en cela RT n’est pas différente «d’Al Jazeera ou de France 24».

Il reprennent ainsi la fameuse stratégie «relativiste» constamment pratiquée par RT, et que dévoile Cécile Vaissié dans Les Echos[ii], consistant à démonter toute accusation contre la Russie simplement en y opposant le fait que les occidentaux peuvent se reprocher la même chose (même si la comparaison est très approximative). Cela donne l’occasion à la chaîne de se victimiser et de conforter son image «anti système».

Mais il y a de grandes différences entre RT et les autres médias cités, qui sont effectivement financés eux aussi respectivement par les gouvernements qatari et français. D’abord, la structure de Russia Today est strictement verticale, elle se voit constamment imposer par le haut une ligne kremlino-compatible, et ce de façon très rigide, explique Maxime Audinet dans Les Inrocks [iii]. Ensuite, RT a un lourd passif. Le site RT en français a mauvaise presse, les critiques se cristallisent sur son immixtion dans la présidentielle, suite à laquelle Emmanuel Macron à qualifié publiquement RT et Sputnik d’ «organes d’influence et de propagande».

La chaîne RT en anglais s’est aussi faite remarquer en France par son traitement du dossier syrien (notamment les images des scènes de liesse à Alep «libéré» par l’armée d’Assad) et du dossier ukrainien[iv].

Les médias sont formels, RT est une chaîne de propagande. Mais quelle forme prendra cette propagande ? La réponse est moins claire, et les experts sont prudents.

La chaîne inquiète, mais une certaine circonspection est de mise. 

L’ouverture d’une chaîne de «propagande» russe inquiète médias, diplomates et politiques[v]. Le vocabulaire employé dans les médias est significatif: Xenia Fedorova dénonce une «hystérie russophobe», Julien Nocetti, chercheur à l’IFRI, parle lui d’une “approche militaire de l’information”. Elle inquiète d’autant plus que les pratiques de RT ne sont pas bien connues en France, et que RT entretient ce flou.

De nombreux experts ont été invités à s’exprimer sur ce sujet, et ils appellent à la modération. La propagande s’exprimera d’abord dans le choix des sujets et des invités, qui reflètera les positions russes que nous avons énumérées plus haut. C’est ce que pratique déjà RT en ligne[vi]. Anne le Huérou ajoute dans le Monde que la propagande de RT est plus subtile à l’étranger qu’en Russie, qu’elle  « fonctionne par omission, elle sélectionne certains faits et ne présente jamais de contrepoints.[vii] »

Les contenus de la chaîne RT seront contrôlés par le CSA, et le rédacteur en chef média et technologie du Figaro estime que c’est donc surtout sur les réseaux sociaux qu’il faudra être prudent, car RT les maitrise parfaitement et qu’on y est plus libre et moins surveillé[viii].

La chaîne RT France entretient volontairement le mystère sur ses contenus futurs. Elle se fait très discrète, ne dévoilant pas le nom de ses journalistes, ni l’emplacement de ses locaux. Se voulant un média traditionnel sérieux, RT tente également de se distancier de Sputnik, média beaucoup plus polémique encore, avec qui la chaîne partage tout de même des journalistes et un rédacteur en chef. Xenia Fedorova dément toute affiliation: «Nous sommes plus stricts» insiste-t-elle[ix].

Dans ce contexte d’incertitude, la prudence est donc de mise en France, les médias appelant à ne pas diaboliser RT. D’abord au nom de la liberté de la presse, Amaury de Rochegonde estimant par exemple qu’une croisade contre RT aurait des relents de «guerre froide»[x]. Ensuite parce qu’il faut être «stratégique»: dans Le Monde, le doctorant Maxime Audinet  estime que «diaboliser» RT serait contre productif[xi], car RT a la faculté de retourner les critiques à son avantage en se victimisant, renforcant ainsi sa posture «anti mainstream» et sa notoriété. Il vaut mieux déclarer et accepter publiquement que la Russie a le droit d’utiliser des médias pour diffuser sa «voix», de façon à être plus crédible lorsque des reproches sur le fond devront être faits, c’est aussi l’avis de France 24 [xii].

Il y a consensus pour ne pas condamner la chaîne RT trop hâtivement, et attendre son lancement pour la juger. Les opérateurs de télé attendent d’ailleurs de voir la chaîne avant de lui proposer un canal. Cependant, il faut rappeler que les pratiques de RT sont souvent contestables.

«Fake news», rumeurs, absence de vérification des informations: des pratiques courantes

Si le site internet de RT en France ne s’est pas discrédité avec des fake news grossières, il est incontestablement adepte des rumeurs. RT en ligne en a relayé tout au long de la campagne présidentielle, tentant de discréditer le candidat E. Macron: existence de compte aux Bahamas, prétendue homosexualité du candidat, collusions de Macron avec le patron d’Altice, ou son séjour au sein de la résidence officielle de l’ambassadeur de France au Liban «aux frais du contribuable»… Pour cette dernière rumeur, le rédacteur en chef de RT Jérôme Bonnet a d’ailleurs reconnu une «erreur»[xiii] dans l’absence de vérification de l’information.

Mais il y a plus grave encore, l’expérience de Stopfake démontre en effet que RT va souvent jusqu’à publier des «fake news». Environ 20% des «fake news» démenties par Stopfake proviennent du holding de RT. Ces fausses informations se retrouvent dans les contenus en russe comme dans ceux des différents pays où elle est présente.

Pour ne citer que quelques exemples, on peut mentionner la soi-disant polémique autour du slogan «Gloire à l’Ukraine» qui serait un salut nazi sur le site allemand de RT, ou cette vidéo en anglais arguant que le ministre des affaires étrangères autrichien aurait appelé à une union de l’Occident et de la Russie.  Il n’y a pas de raisons que la version française n’ait pas recours aux mêmes procédés.

Affaire à suivre à partir de décembre…

[i] http://mobile.lesinrocks.com/2017/09/19/actualite/russia-today-est-linstrument-le-plus-emblematique-et-efficace-du-soft-power-russe-11987135/
[ii] https://www.lesechos.fr/23/07/2017/lesechos.fr/010154554092_avant-son-lancement-en-france–russia-today-veut-montrer-patte-blanche.htm
[iii] http://mobile.lesinrocks.com/2017/09/19/actualite/russia-today-est-linstrument-le-plus-emblematique-et-efficace-du-soft-power-russe-11987135/
[iv] http://mobile.lesinrocks.com/2017/09/19/actualite/russia-today-est-linstrument-le-plus-emblematique-et-efficace-du-soft-power-russe-11987135/
[v] http://www.telerama.fr/medias/russia-today-tele-poutine-pose-ses-valises-a-paris%2C153971.php?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1486725189
[vi] http://www.liberation.fr/futurs/2016/04/08/russia-today-allo-paris-ici-moscou_1444970
[vii] En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/03/14/la-chaine-russia-today-porte-voix-des-interets-russes_4381420_3214.html#41ymM0ocWyQ2stPi.99
[viii] http://video.lefigaro.fr/figaro/video/pourquoi-russia-today-s-implante-t-elle-en-france/5619400515001/
[ix] En savoir plus sur https://www.lesechos.fr/23/07/2017/lesechos.fr/010154554092_avant-son-lancement-en-france–russia-today-veut-montrer-patte-blanche.htm#tj5peMoIE9135wox.99
[x] http://www.rfi.fr/emission/20171021-lancement-russia-today-rt-france
[xi]http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/19/diaboliser-russia-today-peut-etre-contre-productif_5203010_3232.html#5wugCD1J6gy8x1ls.99
[xii] http://www.france24.com/fr/20170216-russie-france-sputnik-russia-today-medias-presidentielle-medias-kremlin-macron
[xiii] https://www.lesechos.fr/23/07/2017/lesechos.fr/010154554092_avant-son-lancement-en-france–russia-today-veut-montrer-patte-blanche.htm

Par Hélène Martin pour StopFake France