Symon Petlioura, président de la république populaire ukrainienne de 1919 à 1920 (DR)

En 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, le traité de Versailles a redessiné les frontières de l’Europe. Lors de cette réunion, l’Ukraine a tenté de se faire entendre. Mais en vain. Retour sur un épisode méconnu de l’histoire.

Par Alla Lazareva, journaliste ukrainienne

La Conférence de la Paix de Versailles a commencé son travail il y a un peu plus que cent ans, en janvier 1919. Le but de cette conférence était de redessiner les frontières de l’Europe afin d’assurer les conditions d’une paix durable. Cent ans plus tard, on voit bien les lacunes et les erreurs de cet exercice conduit par les vainqueurs de la Première guerre mondiale. Une de ces erreurs est le fait que la délégation ukrainienne n’a pas été admise à table de négociations et que la quête de l’indépendance de l’Ukraine n’a pas été pris en compte.

La délégation ukrainienne est arrivée à Paris fin janvier. Les alliés, à savoir les Anglais et les Français, ainsi que les Empires Centraux, – l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, – avaient signé l’armistice du 11 novembre 1918 et commençaient à travailler sur le contenu des futurs traités.

Sur la terre ukrainienne, au contraire, les combats continuaient. Au Sud, dans la région d’Odessa, sévissait l’armée blanche de Denikine, soutenue par la mission française de Fraidenberg. A l’Ouest, c’était l’armée du général Joseph Haller qui combattait, pour le compte de la Pologne, contre l’armée ukrainienne de Galicie, également, en cachette, soutenue par Ferdinand Foch et George Clemenceau, même si publiquement ils ne le disaient pas. Dans l’Est de l’Ukraine, c’est l’armée Rouge qui attaquait les régiments de la République Populaire d’Ukraine. Symon Petlioura avec son armée était amené à faire face à deux agressions russes à la fois, sans aucun soutien de l’étranger.

Les vainqueurs de la guerre, qui avaient organisé cette conférence, et l’Ukraine se trouvaient dans des états d’esprits opposés. Dans ce contexte bien difficile, une délégation ukrainienne dirigée par Grygir Sydorenko arrive à Paris pour défendre le droit de l’Ukraine à l’indépendance. Cette délégation n’a pas pu participer aux négociations à égalité avec les autres. Les représentants de l’Ukraine étaient présents, ils diffusaient leurs supports d’information, ils assistaient à certaines réunions, ils rencontraient des hommes politiques… mais toujours sans statut officiel.

Pourquoi? Pour répondre à cette question, il faut bien détailler le contexte. Tout d’abord, les perdants n’y participaient pas et n’avaient donc pas leur mot à dire. L’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, l’Empire Ottoman étaient exclus du processus, ce qui a nourrit chez eux, par la suite, un sentiment d’injustice et un désir de revanche. Mais la Russie plongée dans deux guerres, civile et impériale, ne participait pas non plus au travail de la Conférence, ce qui a permis plus tard à Staline, de dire que les intérêts russes n’avaient pas été pris en compte et lui aussi de demander un droit à la revanche. C’était en fait la Conférence des triomphateurs où les grands Emipres, britanniques et français, en présence des Etats-Unis, ont défini leurs zones d’influence et ont réalisé leurs projets géopolitiques.

Le traité de Versailles, qui a été signé un peu plus tard, le 28 juin 1919, en conclusion de la Conférence de la Paix, a considérablement changé la géopolitique européenne. Les 3 empires, les trois aigles noirs, comme on les nommait, – l’Autriche-Hongrie, l’Empire Ottoman et l’Allemagne, – ont cessé d’exister. De nouveaux états ont vu le jour: le Yougoslavie, le Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie; la Pologne a su restaurer son indépendance. Par contre, malgré tout le travail de la jeune diplomatie ukrainienne, l’Ukraine n’a pas eu la même chance. Il existe plusieurs facteurs qui ont rendu impossible l’apparition de l’état souverain ukrainien il y a 100 ans. Et voici les plus importants qui sont au nombre de six.

Le premier facteur, de toute évidence, était le fait que la délégation ukrainienne n’a pas été acceptée à tables des négociations. La diplomatie française, soutenu par les anglais, restait fidèle à la logique de partenariat avec Moscou, même si la Russie n’a pas non plus participé pleinement aux pourparlers. La vision française il y a 100 ans se basait sur une sorte de fidélité à l’alliance franco-russe, et en conséquence, sur une prise en compte systématique des intérêts russes. Le regard officiel russe sur l’Ukraine, comme on le voit aujourd’hui, ne change pas: Moscou ne veut pas de l’indépendance de l’Ukraine et ne rêve que d’intégrer les terres ukrainiennes dans son empire, en se débarrassant de l’identité ukrainienne.

Deuxièmement, la délégation ukrainienne n’était pas unie autour d’une seule stratégie. En même temps, à Paris, travaillaient deux délégations officielles: l’une de la République populaire ukrainienne, et une autre représentant l’Ukraine de l’Ouest. Mais d’autres groupes tentaient de parler au nom de l’Ukraine : le Conseil national ukrainien de Fedir Savtchenko (féderalistes), le Comité de l’action ukrainienne, le Comité National ukrainien (une structure russophile), la délégation de la Galicie de l’Est, des Ruthènes des Carpates, et aussi tant d’autres petits acteurs. Certains parmi eux étaient soutenus en cachette par l’ambassade russe.

Grygir Sydorenko n’était pas un diplomate confirmé. C’était un ingénieur de formation, ancien ministre de la poste de Petlioura. Dans les mémoires de Clémenceau on trouve un épisode où Sydorenko tape sur la table, avec son poing, par déception de ne pas être compris. Alors que son travail se révélait peu efficace, Sydorenko a été remplacé, en juillet, par le duc Mykhajlo Tychkevych, beaucoup plus cultivé, doté de vrais talents diplomatiques… Mais, les grandes décisions étaient déjà prises. La guerre d’indépendance que menait l’Ukraine rentrait en contradiction avec les intérêts de la France et de la Grande-Bretagne: finaliser la répartition des terres et des zones d’influence au plus vite.

Le troisième facteur de défaite de la délégation ukrainienne, c’était la propagande russe et, dans une moindre part, polonaise. L’émigration blanche était massivement présente à l’événement, et même si tous ces représentants de la noblesse russe étaient antibolcheviques résolus, ils restaient impérialistes. L’idée de l’indépendance de l’Ukraine leur était hostile. L’immigration polonaise était très active à Paris depuis le XIXe siècle. Vladislas Mitzkevich, fils de poète connu, était une personnalité appréciée qui a beaucoup oeuvré pour que la Galicie fasse partie de la Pologne. Tous ces adversaires de l’indépendance ukrainienne ont réussi à convaincre Clemenceau que Petlioura, qui incarnait le combat pour l’indépendance, était aussi bolchevique que Trotski. Cette fausse image a eu des effets tragiques.

Le quatrième facteur est la communication insuffisante par le côté ukrainien. Le conseil national ukrainien de Fedir Savtchenko publiait, depuis1918, son bulletin, d’esprit fédéraliste, imaginant une Ukraine comme une partie fédérée de la Russie, ce qui allait contre l’esprit des combattants de Petlioura qui se battaient pour l’indépendance de l’Ukraine. Le bureau de presse ukrainien travaillait régulièrement, et Petlioura, entre les combats et les courts cessez-le-feu, arrivait à passer des appels aux participant de la conférence, donner des nouvelles du front… Ce bulletin, qu’on peut consulter en intégralité dans la bibliothèque Petlioura à Paris, montre que les ukrainiens cherchaient à populariser leur cause en France. Mais ils n’étaient pas aidés. On voit les pages endommagées par la censure. Les Français, à plusieurs reprises, coupaient le télégraphe aux ukrainiens… La communication ukrainienne à Paris était peu puissante, tandis que les Russes et les Polonais, qui prétendaient à reprendre les terres ukrainiennes, avaient des réseaux installés, stables, et fonctionnels.

Le cinquième facteur est la menace bolchevique sous-estimée par la France. De rares amis de l’Ukraine, comme Jean Pélissier, journaliste, chercheur, enquêteur pour le compte de la diplomatie française, n’arrivaient pas à passer leur message de soutien à l’Ukraine jusqu’à Clemenceau et Foch. Ils estimaient qu’il fallait créer un front commun avec Petlioura contre les bolcheviques et que cela correspondait parfaitement aux intérêts français. Mais un autre concept était privilégié par la France: affaiblir l’Allemagne en renforçant la Pologne, pour créer une «zone sanitaire de protection contre le bolchevisme». Les ennemis de l’Ukraine se sont servis des événements de 1918, plus précisément, de la signature de l’accord de paix de Berst-Lytovsk, entre les Empires Centraux et l’Ukraine, pour présenter les Ukrainiens comme des «pro-allemands». Symon Petlioura, qui combattait en Ukraine et ne pouvait être là pour s’exprimer et expliquer sa position, a été victime de la campagne de discrédit, qui lui a fabriqué une image n’ayant rien à voir avec la réalité.

Enfin, le sixième facteur, c’est le facteur humain. La diplomatie ukrainienne comptait quelques personnalités éminentes, comme le premier ministre des affaires étrangères, Alexander Choulguine, ou le duc Mykhajlo Tychkevych, qui a repris la direction de la délégation ukrainienne, en juillet. Mais, comme a dit dans son livre «Comment je suis devenu le commissaire de la République Française en Ukraine » le Général Georges Taboui, le premier représentant officiel de Paris auprès du gouvernement Petlioura en 1917-1918, «les événements étaient plus forts que certaines énergies.» L’Ukraine comptait des ennemis puissants et très peu d’amis. La diplomatie française d’il y a 100 ans ne demandait à son représentant en Ukraine que, je cite M Taboui, de «combattre le sentiment austrophile, germanophile ou trop indépendantiste de certains membres du gouvernement ukrainien et de la classe aisé.»

Le potentiel de l’Ukraine n’a pas été évalué à sa juste valeur. Mais le travail des premiers diplomates ukrainiens, des personnalités éminentes comme Choulguine et Tychkevych, le combat pour l’indépendance de Symon Petlioura n’ont pas été vains. Toutes ces énergies ne se sont pas perdues. Le précédent historique, il y a 100 ans, est devenu un argument important pour le retour de l’indépendance ukrainienne, en 1991. Et aujourd’hui, la continuité existe. L’Ukraine est toujours en guerre, elle défend son droit à exister, à développer sa propre culture et son identité. Cette fois la France, en partenariat avec l’Allemagne, se positionne en modérateur des pourparlers avec l’agresseur russe. Comme il y a 100 ans, les événements sont accompagnés d’une guerre d’information, menée par la Russie contre le monde libre. L’Ukraine joue le rôle de rempart, dans ce combat. Cent ans sont passés, et l’Ukraine compte plus d’amis parmi les Français. Mais leur nombre n’atteint pas encore la masse critique qui empêcherait l’opinion d’être séduite par des populistes de toutes sortes.

En 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, le traité de Versailles a redessiné les frontières de l’Europe. Lors de cette réunion, l’Ukraine a tenté de se faire entendre. Mais en vain. Retour sur un épisode méconnu de l’histoire.

Par Alla Lazareva, journaliste ukrainienne

La Conférence de la Paix de Versailles a commencé son travail il y a un peu plus que cent ans, en janvier 1919. Le but de cette conférence était de redessiner les frontières de l’Europe afin d’assurer les conditions d’une paix durable. Cent ans plus tard, on voit bien les lacunes et les erreurs de cet exercice conduit par les vainqueurs de la Première guerre mondiale. Une de ces erreurs est le fait que la délégation ukrainienne n’a pas été admise à table de négociations et que la quête de l’indépendance de l’Ukraine n’a pas été pris en compte.

La délégation ukrainienne est arrivée à Paris fin janvier. Les alliés, à savoir les Anglais et les Français, ainsi que les Empires Centraux, – l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, – avaient signé l’armistice du 11 novembre 1918 et commençaient à travailler sur le contenu des futurs traités.

Sur la terre ukrainienne, au contraire, les combats continuaient. Au Sud, dans la région d’Odessa, sévissait l’armée blanche de Denikine, soutenue par la mission française de Fraidenberg. A l’Ouest, c’était l’armée du général Joseph Haller qui combattait, pour le compte de la Pologne, contre l’armée ukrainienne de Galicie, également, en cachette, soutenue par Ferdinand Foch et George Clemenceau, même si publiquement ils ne le disaient pas. Dans l’Est de l’Ukraine, c’est l’armée Rouge qui attaquait les régiments de la République Populaire d’Ukraine. Symon Petlioura avec son armée était amené à faire face à deux agressions russes à la fois, sans aucun soutien de l’étranger.

Les vainqueurs de la guerre, qui avaient organisé cette conférence, et l’Ukraine se trouvaient dans des états d’esprits opposés. Dans ce contexte bien difficile, une délégation ukrainienne dirigée par Grygir Sydorenko arrive à Paris pour défendre le droit de l’Ukraine à l’indépendance. Cette délégation n’a pas pu participer aux négociations à égalité avec les autres. Les représentants de l’Ukraine étaient présents, ils diffusaient leurs supports d’information, ils assistaient à certaines réunions, ils rencontraient des hommes politiques… mais toujours sans statut officiel.

Pourquoi? Pour répondre à cette question, il faut bien détailler le contexte. Tout d’abord, les perdants n’y participaient pas et n’avaient donc pas leur mot à dire. L’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, l’Empire Ottoman étaient exclus du processus, ce qui a nourrit chez eux, par la suite, un sentiment d’injustice et un désir de revanche. Mais la Russie plongée dans deux guerres, civile et impériale, ne participait pas non plus au travail de la Conférence, ce qui a permis plus tard à Staline, de dire que les intérêts russes n’avaient pas été pris en compte et lui aussi de demander un droit à la revanche. C’était en fait la Conférence des triomphateurs où les grands Emipres, britanniques et français, en présence des Etats-Unis, ont défini leurs zones d’influence et ont réalisé leurs projets géopolitiques.

Le traité de Versailles, qui a été signé un peu plus tard, le 28 juin 1919, en conclusion de la Conférence de la Paix, a considérablement changé la géopolitique européenne. Les 3 empires, les trois aigles noirs, comme on les nommait, – l’Autriche-Hongrie, l’Empire Ottoman et l’Allemagne, – ont cessé d’exister. De nouveaux états ont vu le jour: le Yougoslavie, le Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie; la Pologne a su restaurer son indépendance. Par contre, malgré tout le travail de la jeune diplomatie ukrainienne, l’Ukraine n’a pas eu la même chance. Il existe plusieurs facteurs qui ont rendu impossible l’apparition de l’état souverain ukrainien il y a 100 ans. Et voici les plus importants qui sont au nombre de six.

Le premier facteur, de toute évidence, était le fait que la délégation ukrainienne n’a pas été acceptée à tables des négociations. La diplomatie française, soutenu par les anglais, restait fidèle à la logique de partenariat avec Moscou, même si la Russie n’a pas non plus participé pleinement aux pourparlers. La vision française il y a 100 ans se basait sur une sorte de fidélité à l’alliance franco-russe, et en conséquence, sur une prise en compte systématique des intérêts russes. Le regard officiel russe sur l’Ukraine, comme on le voit aujourd’hui, ne change pas: Moscou ne veut pas de l’indépendance de l’Ukraine et ne rêve que d’intégrer les terres ukrainiennes dans son empire, en se débarrassant de l’identité ukrainienne.

Deuxièmement, la délégation ukrainienne n’était pas unie autour d’une seule stratégie. En même temps, à Paris, travaillaient deux délégations officielles: l’une de la République populaire ukrainienne, et une autre représentant l’Ukraine de l’Ouest. Mais d’autres groupes tentaient de parler au nom de l’Ukraine : le Conseil national ukrainien de Fedir Savtchenko (féderalistes), le Comité de l’action ukrainienne, le Comité National ukrainien (une structure russophile), la délégation de la Galicie de l’Est, des Ruthènes des Carpates, et aussi tant d’autres petits acteurs. Certains parmi eux étaient soutenus en cachette par l’ambassade russe.

Grygir Sydorenko n’était pas un diplomate confirmé. C’était un ingénieur de formation, ancien ministre de la poste de Petlioura. Dans les mémoires de Clémenceau on trouve un épisode où Sydorenko tape sur la table, avec son poing, par déception de ne pas être compris. Alors que son travail se révélait peu efficace, Sydorenko a été remplacé, en juillet, par le duc Mykhajlo Tychkevych, beaucoup plus cultivé, doté de vrais talents diplomatiques… Mais, les grandes décisions étaient déjà prises. La guerre d’indépendance que menait l’Ukraine rentrait en contradiction avec les intérêts de la France et de la Grande-Bretagne: finaliser la répartition des terres et des zones d’influence au plus vite.

Le troisième facteur de défaite de la délégation ukrainienne, c’était la propagande russe et, dans une moindre part, polonaise. L’émigration blanche était massivement présente à l’événement, et même si tous ces représentants de la noblesse russe étaient antibolcheviques résolus, ils restaient impérialistes. L’idée de l’indépendance de l’Ukraine leur était hostile. L’immigration polonaise était très active à Paris depuis le XIXe siècle. Vladislas Mitzkevich, fils de poète connu, était une personnalité appréciée qui a beaucoup oeuvré pour que la Galicie fasse partie de la Pologne. Tous ces adversaires de l’indépendance ukrainienne ont réussi à convaincre Clemenceau que Petlioura, qui incarnait le combat pour l’indépendance, était aussi bolchevique que Trotski. Cette fausse image a eu des effets tragiques.

Le quatrième facteur est la communication insuffisante par le côté ukrainien. Le conseil national ukrainien de Fedir Savtchenko publiait, depuis1918, son bulletin, d’esprit fédéraliste, imaginant une Ukraine comme une partie fédérée de la Russie, ce qui allait contre l’esprit des combattants de Petlioura qui se battaient pour l’indépendance de l’Ukraine. Le bureau de presse ukrainien travaillait régulièrement, et Petlioura, entre les combats et les courts cessez-le-feu, arrivait à passer des appels aux participant de la conférence, donner des nouvelles du front… Ce bulletin, qu’on peut consulter en intégralité dans la bibliothèque Petlioura à Paris, montre que les ukrainiens cherchaient à populariser leur cause en France. Mais ils n’étaient pas aidés. On voit les pages endommagées par la censure. Les Français, à plusieurs reprises, coupaient le télégraphe aux ukrainiens… La communication ukrainienne à Paris était peu puissante, tandis que les Russes et les Polonais, qui prétendaient à reprendre les terres ukrainiennes, avaient des réseaux installés, stables, et fonctionnels.

Le cinquième facteur est la menace bolchevique sous-estimée par la France. De rares amis de l’Ukraine, comme Jean Pélissier, journaliste, chercheur, enquêteur pour le compte de la diplomatie française, n’arrivaient pas à passer leur message de soutien à l’Ukraine jusqu’à Clemenceau et Foch. Ils estimaient qu’il fallait créer un front commun avec Petlioura contre les bolcheviques et que cela correspondait parfaitement aux intérêts français. Mais un autre concept était privilégié par la France: affaiblir l’Allemagne en renforçant la Pologne, pour créer une «zone sanitaire de protection contre le bolchevisme». Les ennemis de l’Ukraine se sont servis des événements de 1918, plus précisément, de la signature de l’accord de paix de Berst-Lytovsk, entre les Empires Centraux et l’Ukraine, pour présenter les Ukrainiens comme des «pro-allemands». Symon Petlioura, qui combattait en Ukraine et ne pouvait être là pour s’exprimer et expliquer sa position, a été victime de la campagne de discrédit, qui lui a fabriqué une image n’ayant rien à voir avec la réalité.

Enfin, le sixième facteur, c’est le facteur humain. La diplomatie ukrainienne comptait quelques personnalités éminentes, comme le premier ministre des affaires étrangères, Alexander Choulguine, ou le duc Mykhajlo Tychkevych, qui a repris la direction de la délégation ukrainienne, en juillet. Mais, comme a dit dans son livre «Comment je suis devenu le commissaire de la République Française en Ukraine » le Général Georges Taboui, le premier représentant officiel de Paris auprès du gouvernement Petlioura en 1917-1918, «les événements étaient plus forts que certaines énergies.» L’Ukraine comptait des ennemis puissants et très peu d’amis. La diplomatie française d’il y a 100 ans ne demandait à son représentant en Ukraine que, je cite M Taboui, de «combattre le sentiment austrophile, germanophile ou trop indépendantiste de certains membres du gouvernement ukrainien et de la classe aisé.»

Le potentiel de l’Ukraine n’a pas été évalué à sa juste valeur. Mais le travail des premiers diplomates ukrainiens, des personnalités éminentes comme Choulguine et Tychkevych, le combat pour l’indépendance de Symon Petlioura n’ont pas été vains. Toutes ces énergies ne se sont pas perdues. Le précédent historique, il y a 100 ans, est devenu un argument important pour le retour de l’indépendance ukrainienne, en 1991. Et aujourd’hui, la continuité existe. L’Ukraine est toujours en guerre, elle défend son droit à exister, à développer sa propre culture et son identité. Cette fois la France, en partenariat avec l’Allemagne, se positionne en modérateur des pourparlers avec l’agresseur russe. Comme il y a 100 ans, les événements sont accompagnés d’une guerre d’information, menée par la Russie contre le monde libre. L’Ukraine joue le rôle de rempart, dans ce combat. Cent ans sont passés, et l’Ukraine compte plus d’amis parmi les Français. Mais leur nombre n’atteint pas encore la masse critique qui empêcherait l’opinion d’être séduite par des populistes de toutes sortes.

Par Alla Lazareva

Source: Comité Ukraine