La réalité: les commandants d’unité des Forces Armées ukrainiennes ne fusillent pas leurs subordonnés qui désobéissent aux ordres. Les personnes ayant un casier judiciaire ne servent pas dans les Forces Armées ukrainiennes et dans les formations de volontaires.

Des internautes ainsi que certaines sources d’information ont diffusé un faux rapport d’un commandant d’unité qui aurait informé de l’exécution d’un subordonné ayant désobéi à un ordre.




Source: chaine Telegram boris_rozhin

Le texte du « rapport » indique :

«Je voudrais vous informer que le 4 juin 2022, à 12h42, le soldat T. Kolesnichenko a été abattu par moi pour avoir désobéi à un ordre de combat (reconnaissance de la position et de l’état des forces terrestres ennemies, critique publique de l’ordre).

Sur la base du statut disciplinaire des Forces Armées de l’Ukraine, de l’article 21 et du règlement intérieur sur le statut spécial des volontaires ayant un casier judiciaire en suspens du 22/04/22 # 4851-VI.

J’ai fait usage de mes droits.

06/04/2022

Kutsin O., commandant du bataillon de volontaires « ODCH Karpatska Sich ».

StopFake a analysé ce rapport et découvert qu’il ne respectait pas les normes en matière de tenue des registres de l’Ukraine, en particulier les exigences de la résolution n° 1242 du Cabinet des ministres et de l’arrêté n° 370 du ministre ukrainien de la Défense. De plus, le «rapport» est rédigé dans un ukrainien truffé de fautes.

Ainsi, l’en-tête du document contient des détails comme le nom de l’unité, la date et le numéro d’enregistrement du document. Le destinataire est indiqué sur le côté droit. Et en dessous, le type de document: rapport.

Or, les rapports ne requièrent pas ces éléments d’information (cachet avec les armoiries et le nom de l’unité). Ces derniers figurent sur des documents créés par des unités militaires et d’autres unités des forces armées, mais pas par le personnel militaire. Celui-ci n’a qu’un tampon bleu à mettre quand il publie un rapport.

Si l’on tient compte de toutes ses caractéristiques, on voit que ce document a deux auteurs. À en juger par les informations requises, l’unité militaire A0135, et la signature, « Com. Kutsyn O. du bataillon de volontaires du « ODCH Karpatska Sich », les deux auteurs soumettent un rapport au nom du commandant de la 93e OMBr.

Mais la législation qui réglemente la documentation administrative  dans les Forces Armées de l’Ukraine ne prévoit pas de procédure d’échange de rapports entre les unités militaires, et même sous la signature d’un commandant de troisième échelon.

Les auteurs du faux ont probablement utilisé les détails de l’unité militaire A0135 afin de montrer que le document appartient aux Forces Armées de l’Ukraine. Mais ce faisant ils prouvent leur supercherie: l’unité des forces armées n’a pas pu créer un tel document.

De plus, l’en-tête du document contient de nombreuses fautes de grammaire et d’erreurs factuelles. En effet, les auteurs ont utilisé le système russe d’abréviation des adjectifs numéraux (93-й en russe mais 93-оï en ukrainien). Et le nom de famille Bryzhynskyi doit être décliné en ukrainien. Le titre de l’auteur du rapport (sous-lieutenant) est abrégé en russe (мл (адшего) лейтенанта) alors qu’en ukrainien, l’abréviation donne « мол(одшого) лейтенанта ». Le nom de famille du commandant d’unité en ukrainien est Kutsyn.

Pour la rédaction du rapport, les initiales du prénom et du patronyme doivent figurer après le nom de famille. Le format correct est donc « Bryzhyns’ki D. V. » et « Kutsyn O. I. »

Les auteurs du « rapport » n’ont pas eu non plus connaissance du fait que le lieutenant Bryzhynski Dmytro Volodymyrovych n’est plus le commandant de la 93ème brigade mécanisée « Kholodnyï Yar » (Ravin froid). C’est-à-dire que leurs informations le concernant sont dépassées depuis au moins six mois.



Source: chaine Telegram boris_rozhin

Ils font également référence à des normes et documents juridiques inexistants. Les auteurs affirment que le soldat Kolesnitchenko a été abattu par le commandant de l’unité pour avoir « désobéi à un ordre » et « émis une critique publique ». Le Code pénal de l’Ukraine définit ces actions comme une « désobéissance ». Les articles 402 et 403 du Code pénal prévoient une peine de deux à dix ans d’emprisonnement en cas de refus d’obtempérer.

Personne n’est habilité à « fusiller les contrevenants » comme l’écrivent les auteurs du rapport. Et la peine de mort a été abolie en Ukraine en 2000.

Selon les auteurs, les contrevenants peuvent être fusillés sur la base de l’article 21 du statut disciplinaire des Forces armées ukrainiennes. Or, le texte de cet article stipule que le commandant d’un bataillon a le droit d’appliquer des incitations telles que « louanges, remerciements, retrait anticipé des sanctions, congé supplémentaire » et autres. Il n’est aucunement fait mention de pouvoir fusiller  des subordonnés.

Par ailleurs, les auteurs se réfèrent  au « Règlement intérieur relatif au statut particulier des volontaires ayant un casier judiciaire exceptionnel en date du 22 avril 2022 n° 4851-VI ». Or en Ukraine, ce document n’existe tout simplement pas.

Les citoyens ayant un casier judiciaire ne peuvent pas servir dans les forces armées ukrainiennes. Selon l’arrêté du ministre de la Défense de l’Ukraine n°170 du 10.02.2009, « un citoyen ne peut être accepté au service militaire dans le cadre d’un contrat que s’il a un casier judiciaire vierge ou redevenu tel conformément à la procédure établie par la loi. »

L’article 152 du Code pénal de l’Ukraine définit les motifs d’effacement des mentions  d’un casier judiciaire: exécution d’une peine prononcée par une décision de justice, loi d’amnistie,  grâce,  libération conditionnelle, maladie et expiration du délai de prescription pour l’exécution d’une condamnation. Par conséquent, les personnes qui se trouvent dans des établissements correctionnels ne peuvent pas faire leur service militaire, comme le prétendent les auteurs du faux rapport d’exécution. La signature ne répond pas aux exigences de rédaction du document DSTU 4163-2003 : signature et date ne sont pas situées dans le coin gauche de la feuille  et initiales placées avant le nom de famille.

Source: chaine Telegram boris_rozhin

Voici à quoi, selon le document DSTU, la signature du rapport aurait dû ressembler:

Commandant de bataillon volontaire OCH Sich des Carpates signé par O. I. Kutsyn 04.06.2022.

Le texte du rapport contient aussi des fautes de grammaire. Les auteurs écrivent «04.06.2022 г(ода)» (« goda », l’année) qu’en Ukrainien ça devrait être «04.06.2022 р(оку)» (« rokou »).

Très probablement, l’utilisation d’un traducteur en ligne a transformé la phrase « la reconnaissance de la position et de l’état des forces terrestres ennemies » en un ensemble de mots donnant à peu près ceci: « reconnaissance de l’état et de la position des troupes terrestres ennemies ».

La tournure de phrase « J’ai fait usage de  mes droits » est dénuée de sens en ukrainien.

La qualité de l’image trahit l’utilisation d’un éditeur de photos. Tout d’abord, la police diffère par la saturation des couleurs (marquée du chiffre 1). Le texte du rapport est beaucoup plus sombre que le texte du « destinataire ». Un utilisateur ordinaire ne modifie pas la saturation des couleurs de ses fragments lorsqu’il travaille avec un document texte. Le deuxième point inhabituel est que les lettres sont visibles à travers les taches de saleté (marquées du chiffre 2). Si le rapport est sali et déformé, les éléments des lettres doivent également l’être, mais dans notre cas, les lettres sont au-dessus de la tache.




Source: chaine Telegram boris_rozhin

Pour analyser l’image plus en détail, StopFake a utilisé le service en ligne Forensically et Fotoforensics. Ces outils permettent de détecter les signes de retouche photo.

La fonction « Analyse du niveau d’erreur » du service Forensically identifie les éléments étrangers et les met en évidence sous forme de points clairs sur fond sombre. Comme vous pouvez le voir sur l’image, tous les fragments de texte du rapport sont clairs. Ainsi, les auteurs ne pouvaient accéder à une feuille de papier froissée qu’avec l’aide d’un éditeur graphique.


Capture d’écran: Forensically.com

Les images avec des lignes rouges et des points violets montrent les objets clonés et les connexions entre eux. C’est à ces endroits qu’il y a des taches de saleté et des petits points. Ils sont supposés prouver que le document aurait été trouvé accidentellement parmi les ordures. Mais le service Forensically rapporte le contraire – certains des éléments se sont retrouvés naturellement sur un morceau de papier, puis ont été clonés à l’aide d’un réacteur graphique sur toute la surface du rapport.