Nicolas Tenzer, haut fonctionnaire français, directeur du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP).
Cette tribune a été initialement publiée dans Ukrinform France, cet entretien a été conduit par Mathieu Radoubé, Kyiv.
Illustration: Ukrinform France

Dans un climat de tensions croissante entre la Fédération de Russie et les chancelleries occidentales, sur fonds d’ingérence au Royaume-Uni, de soutien du Kremlin au régime meurtrier de Bashar el-Assad et d’invasion russe en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, la cohésion et la force d’une réponse aux actions de Moscou est la solution à la résolution des conflits géopolitiques et stratégiques à l’échelle globale. Mais les divisions entre les pays de l’Union européenne ou de l’OTAN, dans les élites politiques et au sein des opinions politiques sur la question russe empêche pour l’instant une réaction commune face à une menace systémique.

Nicolas Tenzer, haut fonctionnaire français, et président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP), a accepté de nous livrer son analyse du contexte géopolitique et stratégique à l’échelle mondiale et des raisons des carences actuelles dans l’opposition aux tentatives de destabilisation du Kremlin de l’équilibre international.

On peut voir une évolution de la mentalité russe depuis les années 2000, d’abord avec plus d’agressivité dans le discours intérieur, et depuis quelques années une agressivité nouvelle dans le domaine international (attaque Salisbury, Donbass, Crimée, Syrie). Comment qualifier le comportement des dirigeants russes sur la scène internationale ?

_ Il y a, du côté des dirigeants russes, une volonté claire, systématique, de détruire l’ordre international dans ses deux composantes essentielles : les normes de droit, d’un côté, tels le respect des frontières et le droit humanitaire international comme on le voit en Syrie, les organisations internationales, de l’autre, que le Kremlin entend rendre obsolètes sinon caduques. On l’a vu avec les douze vétos de la Russie sur la Syrie au Conseil de sécurité des Nations unies. Tout ceci consonne très fortement avec le propos idéologique de la Russie, antilibéral, anti -droits de l’homme, hostile à la libre pensée, que l’on voit aussi bien à l’intérieur de la Russie avec les attaques parfois malheureusement létales contre des défenseurs des droits de l’Homme et journalistes indépendants, qu’à l’extérieur des frontières.

Tout ceci a commencé il y a assez longtemps, avec la deuxième guerre de Tchétchénie (1999 – 2000), et s’est amplifié avec l’arrivée de Poutine aux affaires , puis s’est manifesté au grand jour avec l’affaire géorgienne en 2008, et en 2011 avec le soutien sans faille, dès le début (avant même leur présence sur le territoire fin 2015), au régime de Bachar el-Assad.

La guerre de Géorgie en 2008, en ce cas, peut-elle être vue comme une forme de test, ou y avait-il des revendications particulières qui pourraient être comparées à celles d’aujourd’hui dans le conflit avec l’Ukraine ?

_On est plutôt sur une forme de prolongement. Effectivement la Géorgie était une forme de coup d’essai pour tester la résolution occidentale. C’est-à-dire, pour reprendre une expression à la mode aujourd’hui, les occidentaux allaient-ils mettre des « lignes rouges » ou non par rapport à ce qui s’apparente à une révision des frontières au sein de l’Europe. C’était un premier test. On s’aperçoit maintenant que les tests ont grossi : ils sont devenus de plus en plus durs, de plus en plus violents, avec la Syrie, parce que même si la Russie n’a envoyé des troupes qu’à partir de l’automne 2015, il y avait déjà des instructeurs russes, et le régime bénéficiait d’un soutien sans faille. Surtout, Moscou n’a montré aucune retenue dans l’accomplissement direct de crimes de guerre.

Si l’on avait marqué un coup d’arrêt en Géorgie, ça n’aurait sans doute pas été possible. Si les Américains, notamment, et les autres alliés avaient marqué une vraie résolution après les attaques chimiques de la Ghouta en 2013, en disant on ne laisse pas Assad faire, ça aurait été pour les Russes un signal fort.

On ne peut pas réécrire l’histoire mais s’il y avait eu une résolution des Alliés forte à ce moment, je ne suis pas sûr que l’invasion du Donbass et l’annexion de la Crimée se soient produites.

Cela induit une question. Est-ce qu’il n’y a pas eu un manque de cohésion et d’activité de la part de l’Union européenne sur l’Ukraine, à un certain moment ?

_ Il y a deux sujets ici. Dans un premier temps, l’Union européenne seule n’a pas la capacité d’intervenir aussi fortement que les Etats-Unis, ou du moins, sans eux, c’est beaucoup plus difficile. Pour plusieurs raisons. D’abord, les seules grandes puissances militaires, la France et le Royaume-Uni, hésitent toujours à intervenir seules, en tout cas en dehors d’un certain champ. La France l’a fait en Afrique, au Mali, au Niger … pour lutter contre les groupes islamiques radicaux. Elle a eu parfois un soutien, notamment en matière de renseignement de la part des Américains, ou logistique des Européens, mais finalement assez limité et faible. Elle a porté seule l’essentiel du fardeau de la sécurité de l’Europe.

L’Allemagne, quant à elle, est encore prisonnière de la doctrine de non intervention, qui est un vrai sujet dans le pays. Merkel a déclaré clairement, parce qu’elle ne peut pas dire le contraire vis-à-vis de son opinion publique, qu’elle n’allait pas participer à une campagne de frappes en Syrie récemment, alors qu’elle n’y aurait certainement pas été hostile d’un point de vue personnel.

Les autres pays, soit n’en ont pas les moyens, soit n’en ont pas la volonté. L’Europe est extrêmement divisée sur cette question.

Ce qui a manqué c’est le deuxième point  c’est une forme de récit et de désignation de la menace russe. Les chancelleries ont constaté sous-estimé celle-ci, même avant 2014 pour la Syrie, avec toujours cette idée qu’il ne fallait pas brusquer les Russes, qu’il ne fallait pas se fâcher avec eux et continuer à s’arranger diplomatiquement, ce qui est à mon avis une illusion et une méconnaissance totale de ce qu’est la Russie.

Celle-ci ne veut pas uniquement ni même essentiellement défendre des intérêts stratégiques – territoires, points d’appui militaires – comme le prétend son récit inventé, que ce soit en Ukraine, en Syrie ou ailleurs. Elle a une volonté beaucoup plus globale, idéologique, d’affaiblissement de l’ordre international issu de la Seconde Guerre mondiale.

Pour quelles raisons ? Elle a longtemps été une force d’opposition dans les instances supranationales, avant de perdre sa position. Mais depuis son retour dans les années 2000, avant le cas géorgien, il n’y avait pas d’opposition réelle sur la scène internationale.

_ Il y avait cette volonté, en tout cas de la part de Poutine (certainement pas de tous les Russes), de détruire cet ordre international petit à petit. Moscou a, de fait, refusé toutes les mains tendues et propositions de coopération qui ont pu lui être faites, que ce soit de l’Union européenne, qui s’était au début engagée dans une forme de partenariat avec la Russie, ou de l’OTAN, avec les accords signés sous la présidence Eltsine. C’est d’ailleurs frappant parce que si vous allez au quartier-général de l’OTAN à Bruxelles, il y a toujours une grande photo d’Eltsine avec le secrétaire général de l’époque. Elle n’a pas non plus joué le jeu du reset que les Américains avaient engagé au début de la présidence Obama, et pour lequel j’étais fort sceptique.

Il y a eu une politique de main tendue de la part des Occidentaux, avec même des contreparties comme les programmes de coopération économiques de la BERD et des investissements significatifs. Cela a peu duré en raison de la volonté du Kremlin de rompre, sous l’influence d’un certain nombre d’idéologues dont certains sont connus, comme Douguine, et de stratèges militaires dans l’entourage de Poutine. A partir de là, là Russie a construit tout un discours sur l’humiliation subie, ce qui n’a strictement aucun réalité historique, comme celle vécue à la suite de la destruction de l’URSS.

N’y a t-il pas, au-delà de cette volonté de perturber un ordre international établi sans la Russie et dans lequel elle voudrait peser, une volonté de créer un second bloc, comme ce fut souvent le cas dans l’Histoire russe, notamment récente ? De se positionner directement dans une dynamique d’affront, ce qui permettrait à des pays non satisfaits de la structure actuelle de se rapprocher d’elle?

_Cette volonté de « rassembler » était au début implicite, mais c’était une volonté qui n’a pas pu fonctionner, qui ne pouvait pas fonctionner, et qui n’était d’ailleurs pas une volonté vraiment solide. Qu’est ce que ce « bloc » ? C’est une partie des « brics » [Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud] mais on voit que l’Inde a une position ambiguë parfois et ne joue pas le jeu. La Chine, elle, ne poursuit que ses propres intérêts et a un mépris souverain pour Moscou, et à part certains pays d’Asie centrale, qui essayent de jouer un jeu parfois double également vis-à-vis de la Russie (les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale), et la Biélorussie qui s’écarte de temps en temps des positions du Kremlin, c’est une politique qui ne pouvait pas marcher.

Je ne sais pas si Poutine lui même y croyait. Son Union eurasiatique bat de l’aile, donc je ne vois de crédibilité dans cette idée mise en avant de façon très artificielle. Il y a eu de la part de Poutine un jeu de pouvoir, qu’il a d’ailleurs partiellement réussi de son point de vue, dans le sens où il apparaît comme celui qui détermine l’ordre du jour. Il a réussi à le faire parce que les autres s’en sont abstenus et c’est tout l’enjeu désormais de ce que l’on pourrait appeler le « monde libre » de renverser ce jeu.

Et ce serait en train de s’établir en ce moment avec la reprise en main plus ferme des occidentaux ?

_ Il faut espérer que ça aille jusqu’au bout et que ça s’accompagne d’une meilleure compréhension, qui n’existe pas chez tout le monde, y compris en France et aux Etats-Unis, des intentions réelles de Poutine.

Sur un second plan, tout ceci s’est aussi accompagné d’un combat idéologique, qui est un instrument au service de cette orientation. L’URSS disparue, on estime qu’il n’y a plus de système en face, à l’exception de l’islamisme radical mais qui est d’un tout autre ordre. Or, Poutine, sans reprendre la doctrine communiste, oppose frontalement un autre système idéologique au système libéral et démocratique de l’Occident.

On voit aussi cela dans la manière dont il instrumentalise l’Eglise orthodoxe russe ou plus précisément le Patriarcat de Moscou, qui se laisse volontiers faire pour de multiples raisons et s’oppose d’ailleurs à d’autres Eglises orthodoxes.

Poutine joue habilement avec la propagande qu’il diffuse à travers l’occident sur cette espèce de nationalisme antilibéral qui sévit dans de nombreux pays européens. C’est pour cette raison que Poutine aide et finance l’ensemble des réseaux d’extrême gauche et d’extrême droite.

Роберт Фицо и Владимир Путин / Фото: EPA
Robert Fico et Vladimir Poutine / EPA (Ukrinform France)

Quel serait donc son but dans ce cas ? Affaiblir l’Europe ? Il est difficile d’imaginer ces partis arriver au pouvoir pour l’instant, du moins dans les pays d’Europe qui ont du poids sur la scène internationale ou européenne. S’ils ont pris le pouvoir dans certains pays du groupe de Vysehrad, il est difficile de les imaginer s’imposer dans les systèmes électoraux français, belges … pour ne citer qu’eux ?

_ Il ne faut malheureusement jamais dire jamais… Cette volonté est assez claire, sachant qu’il y a aussi, dans ces jeux de désinformation, plusieurs niveaux. Vous pouvez avoir soit des partis au pouvoir qui sont franchement nationalistes, conservateurs, attachés aux valeurs dites traditionnelles comme au retour de l’Eglise dans la sphère politique, soit toute une forme, qui me paraît beaucoup plus dangereuse finalement, de propagande douce qui est très importante, en France, en Italie et dans certains pays de l’Etat, voire en Allemagne…

En France, tout le monde se focalise sur l’extrême droite, sur le Pen, et désormais aussi, à raison, sur l’extrême gauche : on retrouve la même complaisance envers les dictatures les plus sanguinaires chez Mélenchon et chez Corbyn au Royaume-Uni. Mais on oublie les partis dits de gouvernement, qui sont largement contaminés. C’est le cas du parti conservateur, les Républicains de Laurent Wauquiez, dont un très grand nombre d’élus tiennent un discours pro-russe assez explicite –voyez le discours – voyez le discours d’apaisement de François Fillon pendant la campagne présidentielle ou de Wauquiez aujourd’hui. Ils se sont opposés à l’intervention en Syrie et prônent une politique de composition avec la Russie.

Vous avez ce même type de discours en Allemagne du côté du SPD, parti social démocrate, et en Italie. Beaucoup considèrent à juste titre que l’Italie est, parmi les pays fondateurs de l’Union européenne, un maillon faible. De nombreux Italiens, dans les cercles du pouvoir, sont finalement extrêmement pro-russes et favorables à l’apaisement. Donc ce discours là prend dans de nombreux pays et partis européens, et pas uniquement du côté des groupes extrémistes.

 Ce discours pro-russe est aussi souvent anti-atlantiste, et à ce propos, avec l’imprévisibilité de Donald Trump, comment peut-on juger la capacité actuelle de réaction de l’Alliance, qui n’avait jusqu’ici jamais été vraiment mise à contribution, mais engendrait une certaine confiance.

Avec les menaces de début de mandat du nouveau Président sur l’OTAN, sur l’ONU, n’y a t-il pas un affaiblissement des Organisations à prévoir et un vide derrière pour la défense de ces pays ?

Il faut effectivement se questionner sur l’affaiblissement de l’OTAN et sa recherche de doctrine. Ces problématiques durent depuis un moment et n’ont toujours pas abouti. Évidemment Trump est ce qu’il est, mais Obama n’a pas aidé non plus là-dessus.

Il y avait donc déjà un affaiblissement, mais l’article 5 de la charte paraissait tenir bon. Le second élément porte précisément là-dessus. Bien que Trump ait révisé ses propos sur une OTAN obsolète, les doutes qu’ils ont entraînés sur le caractère effectif de la garantie de cet article ont posé des problèmes sérieux de crédibilité. Soyons justes : cela a été accentué avec Trump, mais existait avant lui..

Pour tenter de contrer un effet « boule de neige » potentiel, il faut absolument garder le lien transatlantique indépendamment de notre appréciation du président Trump : ceci explique dans une large mesure la politique d’Emmanuel Macron envers les Etats-Unis. Ce travail de reconstruction est indispensable.

Que pourrait-il se passer en termes géopolitiques si ce lien venait à se briser ?

_Ce serait une vraie menace pour la sécurité, notamment en Europe, et qui aurait deux effets sur Poutine. D’un côté, cela le conforterait : il pourrait se dire qu’il n’a plus de menace réelle et qu’il a le champ libre, ce qu’on perçoit aujourd’hui. De l’autre, en termes de discours, il pourrait dire qu’il avait prédit le manque de fiabilité des Américains et se poser en puissance qui ne trahit, elle, jamais ses alliés. Pas même Assad. Poutine jouerait sur ce genre d’ambiguïtés. Heureusement nous n’en sommes pas là; nous avons toujours une marge importante d’action si nous le voulons.

Donc vous ne pensez pas que le soutien sans faille de Poutine à Assad peut lui porter préjudice dans les années à venir ? Ca l’a été il y a quelques temps (Ghouta orientale par exemple), et les opinions publiques européennes prennent leur distance même au sein des militants de parti « pro-russes ».

_ Ce qui est vrai dans cette affirmation c’est que, selon plusieurs sondages, le taux de popularité de Poutine n’est pas extrêmement élevé dans l’opinion française ni dans celle de la plupart des pays européens. Mais en même temps, il y a d’autres secteurs de l’opinion qui vantent sa virilité (avec toute la connotation que peut avoir ce terme) et sa pugnacité. Donc la capacité que les Occidentaux auront dans le mois à venir de renverser le cours des choses en Syrie sera déterminante.

Illustration: Ukrinform France

Donc plus qu’en l’Ukraine, dont le conflit tend à se stabiliser (du moins dans les opinions publiques malheureusement), l’opposition entre Russie et monde occidental s’est déplacé sur la Syrie ?

_Il s’est déplacé sur la Syrie, mais en même temps il est essentiel de tenir ensemble dans notre raisonnement et notre pensée l’Ukraine et la Syrie. Si notre réaction devient plus forte en Syrie après des frappes somme toute limitées, cela marquera une forme de coup d’arrêt et Poutine pourrait ne plus se sentir complètement impuni des crimes de guerre qu’il a commis en Syrie majoritairement, mais en Ukraine aussi. De ce point de vue là, cela pourrait avoir des répercussions sur le conflit ukrainien, même si je préfère employer le conditionnel et rester prudent.

On serait donc dans une vision de conflit totalement globalisée, à l’échelle de la planète ?

_Tout du moins ceux où la Russie est derrière, que j’ai qualifié dans un de mes récents papiers de « menace systémique ».

Menace systémique?

Vous avez des menaces globales, comme le terrorisme islamiste. Vous pouvez avoir des menaces régionales, par exemple l’Iran. Vous pouvez avoir des menaces économiques qui peuvent devenir systémiques mais ne le sont pas encore, comme la Chine. La Chine est intéressante par ailleurs. Lors des quatre derniers votes de résolutions à l’ONU sur la Syrie, alors qu’elle avait toujours voté avec la Russie auparavant, elle s’est abstenue. C’est un signe très intéressant.

La Russie, au contraire, est une menace systémique: menace à la fois pour la sécurité dans les zones où elle intervient, mais également menace idéologique et menace qui a une dimension intérieure avec la diffusion de sa propagande et de fausses nouvelles et menace de déstabilisation des règles et des organisations internationales.

Même au temps de la guerre froide, et au-delà de l’oppression des pays du pacte de Varsovie et de ceux qui, comme l’Ukraine, étaient encore à l’intérieur de l’URSS, il y avait une forme de respect, a minima et formelle certes, des règles du jeu de la diplomatie internationale. Cela n’empêchait pas la propagande en dehors de ses frontières bien entendu mais sans le décuplement de celle-ci par les réseaux sociaux. Les organes de propagande, comme L’Humanité en France ou le Morning Star au Royaume-Uni n’avaient pas le même impact.

On est aujourd’hui, nous l’évoquions tout à l’heure, dans une reconstruction d’une idéologie qui revêt la forme d’un conflit systémique global et sans limites, au profit d’une volonté de destruction générale de cet ordre international et de ses principes.

Dans l’idéologie soviétique, les principes étaient clairs. Leur application était totalement mensongère, ils existaient sur le papier. Les droits de l’Homme par exemple n’étaient pas respectés mais ils étaient considérés comme ayant une valeur. Là, nous sommes en présence d’un grand nettoyage de l’ensemble de nos principes par Moscou qui apparaît comme une puissance révisionniste.

En terme de question intérieure russe, enfin, puisque vous avez évoqué Douguine. Quelle est la place du besoin de conquête de territoires et de celui de s’affirmer comme une grande puissance sur la scène internationale dans la gestion poutinienne de son opinion publique ?

_ Poutine instrumentalise toutes les idées si elles lui sont utiles. Sur le plan intérieur, on peut dire que l’idée de « russianité » (d’où l’annexion de la Crimée, la « défense » des russophones du Donbass, la manière dont il agite certaines minorités en Europe centrale ou les russophones d’Estonie) fait partie de son narratif global, mais il n’est que le prétexte à quelque chose de plus vaste.

De même, la mise en avant de prétendus intérêts stratégiques au Moyen-Orient, qui auraient d’ailleurs été beaucoup mieux défendus si Poutine avait prétendu aider à une transition pacifique, est instrumentalisée au service d’autres fins. Sur le plan intérieur, on peut discuter de la manière dont cela fonctionne mais c’est en tout cas ce qu’il défend. Parce que ça lui est utile.

Cette tribune a été initialement publiée dans Ukrinform France, cet entretien a été conduit par Mathieu Radoubé, Kyiv.