Par Alla Lazareva,

Source: Tyzhden.ua

Illustration: Zakhar Prilepine / Tyzhden.ua

Malgré les protestations des Ukrainiens de France, le militaire russe Zakhar Prilepine, combattant l’arme à la main sous le drapeau de la soi-disant République Populaire de Donetsk, a participé au Salon du Livre de Paris. Le Service de la sécurité de l’Ukraine (SBU) le recherche pour terrorisme et financement du terrorisme.

«Prilepine – assassin», «Prilepine – terroriste», «Les mains de Prilepine sont couvertes par le sang des Ukrainiens»… Ces pancartes, parmi d’autres dénonçant l’annexion illégale de la Crimée, ont accompagné partout au Salon du Livre cet écrivain russe qui n’a d’ailleurs «pas écrit une ligne au cours de deux dernières années, parce que la guerre est beaucoup plus intéressante que la littérature», comme il le dit lui-même.

Le Salon du Livre de Paris est le plus grand événement dédié au livre en France. Il réunit sous le même toit des centaines d’éditeurs, des milliers d’écrivains et des dizaines de milliers de lecteurs. Cette année, l’invité d’honneur de l’événement, c’était la Russie. Paris n’a pas hésité d’offrir une place importante à ce pays malgré les sanctions, l’annexion de la Crimée, la barbarie en Syrie, la guerre dans le Donbass et une nouvelle affaire d’empoisonnement en Grande-Bretagne. «La culture ne se mélange pas avec la politique», affirment les organisateurs du salon, bien que cette formule sympathique soit peu en rapport avec la réalité, et cela nulle part dans le monde.

En réalité, l’exploitation politique de la production culturelle a été, dans toutes les périodes de l’histoire humaine, un outil puissant de la diplomatie. Un bon et récent exemple en est la réaction hystérique au boycott du Pavillon russe par Emmanuel Macron, de la part des participants du stand russe. Si la littérature et la politique étaient vraiment deux réalités parallèles, on n’aurait jamais entendus les plaintes des écrivains russes et des éditeurs français qui les publient.

«Monsieur Macron, votre boycott du Pavillon russe, pays invité d’honneur cette année à Livre Paris, a un impact direct sur mes investissements, lit-on dans la lettre ouverte écrite par Natalia Turine, directrice à la fois de la Librairie du Globe et de Lousion Editions, une maison d’édition spécialisée dans la littérature contemporaine. J’ai dépensé 100.000 euros pour le stand de la librairie du Globe, librairie officielle du stand de la Russie. Ce boycott m’a fait l’effet d’une douche froide et mon entreprise est mise en péril». Il est clair alors que le stand russe, supposé «totalement apolitique» espérait recueillir des dividendes, grâce aux photos publicitaires réalisées au moment de la présence du président français. Ca n’a pas vraiment marché, du fait de l’affaire Skripal qui a éclaté au moment de l’ouverture du Salon. Alors, les Russes ont posé en victimes, en plein déni du fait que leurs problèmes ont été de leur propre fait.

Une confusion semblable s’est produite avec l’invitation d’un écrivain controversé, Zakhar Prilepine, qui participe aux combats dans l’est de l’Ukraine aux côtés de la milice pro-russes. La France a gouté au terrorisme et au mercenariat, à plusieurs reprises. Pour ces activités, elle punit ses citoyens sans hésiter, dès que la participation à une formation étrangère militarisée non-enregistrée est démontrée.

Manifestement, quand il s’agit du mercenariat d’un officier russe en Ukraine, cela n’est plus le cas. Comment peut-on expliquer sinon cette invitation déplacée ? Une forte pression de la part de l’ «invité d’honneur» qui a payé pour avoir ce statut privilégié, selon certaines informations, 1 millions d’euros? Un désir d’offrir un petit plaisir au Kremlin, vu que Monsieur Prilepine soutien à fond le Président Poutine? Ou, peut-être, il s’agit d’une fascination du Mal incarné par ce personnage prétentieux ? D’un aveuglement volontaire d’une partie des intellectuels français, qui voient en Prilepine un héros, capable d’incarner une version moderne d’un révolutionnaire?

« Je suis d’abord et avant tout écrivain, » répond Prilepine au public du Salon du livre, sans oublier de se mettre sur un pied d’égalité avec Dostoevski, Pouchkine, Lermontov… Cependant, sur sa page Facebook, il apparait comme «officier de l’armée de RPD (ndlr – la soi-disant République Populaire de Donetsk)». Un combattant.

L’Ambassade d’Ukraine en France a envoyé une note de protestation au Ministère des Affaires étrangères de la France. Le président du CRUF (Comité Représentatif de la Communauté Ukrainienne en France), Monsieur Taras Horiszny s’est adressé au Ministre des Affaires étrangères et à celui de la Culture avec une lettre ouverte. «Nous souhaitons exprimer notre étonnement et notre plus profond désaccord au sujet de la visite en France de M. Zakhar Prilepine, écrivain russe, pour participer au Salon du Livre de Paris… Et il nous semble que les autorités françaises feraient preuve de cohérence en interdisant sa venue.»

A ce jour, les deux ministères n’ont pas répondu à la lettre ni à la note de protestation.

Ainsi, Prilepine a participé, sans interférence, à un événement culturel international «apolitique». Au cas où, il s’est fait accompagner par deux gardes du corps. Ce n’est tout de même pas si habituel pour un écrivain, remraquons-le.

Au stand russe Zakhar Prilepine souhaitait surtout parler des livres édités avant son engagement à Donetsk. Ces ouvrages ont été traduits par la maison d’édition Actes Sud, dirigée à l’époque par la ministre de la Culture actuelle, Françoise Nyssen. C’est Actes Sud qui a fait «découvrir» Zakhar Prilepine aux Français. Assument-ils cette responsabilité qui devient pesante ?

Il ne semble pas. Selon les informations de Tyzhden, la maison d’édition a mis en veille sa coopération avec l’auteur controversé et ne souhaite pas publier ses textes sur le Donbass. Ils sont sortis en Suisse, aux Editions des Syrtes, très en phase avec la ligne officielle de la Russie Poutinienne.

Cependant, une chose est sûre: l’officier russe tirant sur les positions de l’armée ukrainienne, a recueilli à Paris plutôt une bonne presse, vendu et signé de nombreux livres et, par sa présence même à incarné toute l’ambiguïté qui existe au sujet de l’agression russe contre l’Ukraine dans les milieux économiques, politiques et culturels de la France.

Illustration: Tyzhden.ua

«Recevez-vous un financement de l’Ambassade de la Russie ?» a démandé Tyzhden au représentant de la Librairie du Globe, librairie officielle du stand de la Russie. «Non, l’ambassade russe n’a pas d’argent pour la culture, nous a-t-on répondu. Nous ne faisons pas de politique, il y a que la culture qui nous intéresse». Comme c’est familier et à quel point c’est peu convaincant!

«C’est juste une visite de courtoisie. Nous sommes venus pour nous assurer que tout se passera bien à cette fête de la littérature», ont tenté de dire les représentants de l’ambassade de la Russie le jour de l’ouverture de l’exposition, en repérage sur le stand ukrainien.

On dirait que la présence ukrainienne au Salon du livre s’est avéré embarrassante. Un stand stylé, ouvert, accueillant, qui proposait beaucoup d’activités et des rencontres, mais surtout, défendait une vision alternative des événements en Crimée et dans le Donbass, cela inquiétait «l’invité d’honneur». Les actions de protestation organisées par les activistes ukrainiens contre la présence de Prilepine ont ajouté un malaise supplémentaire.

«Pourquoi l’Ukraine, ne s’est pas adressé à Interpol en s’appuyant sur les enquêtes du SBU? a demandé un avocat français. Si une telle demande avait été faite, Zakhar Prilepine aurait pu être arrêté à l’entrée du Salon du Livre!» Pourquoi ? On ne sait pas encore.

Le Parquet général a expliqué à Tyzhden que la question n’est pas de sa compétence. Ce sont les Ministère de l’Intérieur ou le SBU qui ont l’habilitation à solliciter Interpol.

A son tour, Tyzhden s’est adressé au Ministère de l’Intérieur et au SBU avec des demandes officielles. Notre journal demande des informations sur les recherches entreprises pour faire interpeller Zakhar Prilepine à l’étranger.

Par Alla Lazareva,

Source: Tyzhden.ua

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