Cette tribune a été initialement publiée dans Ukrinform France
Par Olga Budnik, Strasbourg
L’Europe saura t-elle trouver une réponse collective à la guerre hybride russe ?

La crise des relations entre l’Union européenne et la Fédération de Russie est survenue au printemps 2014, après l’annexion de la Crimée et le début du conflit armé déclenché par la Russie dans l’est de l’Ukraine. Aujourd’hui, la Russie fait tout pour diviser et affaiblir les pays européens, dans le but notamment d’obtenir plus facilement la permission de construire le gazoduc Nord Stream-2 ou de faire supprimer les sanctions.

LES DISCIPLES DE PEDRO AGRAMUNT

Au cours des dernières décennies, plus d’une douzaine d’États et d’« entités étatiques »  sont apparus dans différentes parties du monde. Les premiers résultant principalement de l’effondrement de blocs tels que l’Union soviétique et la Yougoslavie, les dernières relevant du séparatisme ou de l’occupation de territoires. Dans la plupart des cas, les scénarios de création de ces « entités étatiques » ont été réalisés avec la participation directe de la Russie, comme ce fut le cas en Ossétie du Sud, en Abkhazie, en Transnistrie, en Crimée, ou dans le Donbass.

Sans entrer profondément dans la théorie de l’État et le droit international, il faut voir que les États ne le deviennent à part entière qu’à la condition d’avoir une base historique sur laquelle s’appuyer et après avoir été reconnus par la communauté internationale. Le contexte historique est un concept flou, mais la reconnaissance par d’autres États est une étape concrète et clairement définie par le droit international. C’est pourquoi la Russie voudrait tellement que les prétendues Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk soient reconnues, bien qu’elle ne le fasse pas alle-même. C’est dans cette optique qu’elle cherche à créer des « représentations diplomatiques » en Europe: en Italie, en Grèce, en Finlande et même en France, où par ailleurs les membres du  » consulat de DNR en France » sont tous Français. Ceux-ci se sont déjà rendus en Crimée et dans le Donbass, et prévoient d’y revenir pour  » célébrer l’indépendance de la DNR  » et  » renforcer les relations entre la France et la Crimée « , au moyen notamment, d’une agence de presse intitulée « Amitiés France Crimée ».

Bien entendu, ce voyage n’a pas la même ampleur que celui de Pedro Agramunt, ancien président de l’APCE (Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe) qui s’était rendu en Syrie dans un avion militaire des Forces armées de la Fédération de Russie et que celui de Thierry Mariani, député français de l’époque, en Crimée occupée. Mais cela peut créer des précédents dangereux.

UN CONSULAT DE DNR. CELUI DE CATALOGNE A SUIVRE ?

Le séparatisme est devenu un phénomène répandu et dangereux en Europe. Les régions riches veulent gérer leur budget, et donc séparer, comme en Catalogne ou dans certaines régions riches du nord de l’Italie. Ces régions luttent pour l’auto-détermination, bien qu’elles vivent en partie des subventions de la métropole. C’est par exemple le cas de la Corse française et de la Nouvelle-Calédonie. Et il y a aussi le Pays Basque en Espagne, l’Écosse, la Flandre belge, le Tyrol du Sud et même la Bavière allemande. Toutes ces régions sont ou peuvent devenir, sous certaines conditions, porteurs de séparatisme. Et si, à l’heure actuelle, en Bavière et dans le Tyrol du Sud à l’heure actuelle il est très peu probable de voir un soutien massif de la population envers le séparatisme, en Catalogne ou en Corse, il suffit de bien choisir les slogans et des millions de personnes sortiront dans la rue, puis voteront pour l’indépendance.

Il est intéressant de s’imaginer une situation où des parlementaires allemands ou espagnols avec des représentants du gouvernement local, visitaient la Nouvelle-Calédonie ou la Catalogne et faisaient des déclarations soutenant le séparatisme. Quelle serait la réaction des gouvernements centraux des pays européens si leurs territoires, en quête d’autonomie, ouvraient des « consulats honoraires » dans d’autres pays, simulant des activités de politique étrangère?

UN COMBATTANT INVITÉ AU SALON DU LIVRE À PARIS

L’art est devenu un autre composant de la guerre hybride russe. La littérature, le cinéma, le théâtre deviennent des outils de l’influence destinés à ceux qui sont trop intelligents pour croire à la désinformation russe trop brutalement falsifiée.

On peut évoquer ici la présence de Zakhar Prilepine, écrivain russe et combattant des formations séparatistes pro-russes dans le Donbass, qui s’est rendu cette année au Salon du livre à Paris, où il a même présenté son livre  » Ceux du Donbass, Chroniques d’une guerre en cours « .

On parlera aussi de l’écrivain belge Eric Cusas et de son livre « Coeur de chretien », présenté le 4 mai à Strasbourg. Eric Cusas, un sympathisant de longue date du Kremlin, anarchiste de droite eurosceptique, essaie de convaincre dans son roman que l’Union européenne en tant qu’institution mondiale a perdu de sa pertinence, et est en train de vivre un déclin contre lequel le remède est la création d’un nouveau modèle d’Europe mondiale. Rien de grave, donc, au premier regard, mais en vérité, l’organisateur de l’événement est un  » groupe de travail franco-russe « , une association à but non lucratif intitulée le « Cercle du Bon Sens », et dirigé par une certaine Anne Gichkina, d’origine russe. Cette organisation se décrit comme un  » cercle de réflexion franco-russe entièrement bénévole à l’inspiration chrétienne et conservatrice (conservatisme libéral comme l’entendait, par exemple, le philosophe russe Nicolas Berdiaev) s’engageant pour un progrès sain et la survie des valeurs éternelles historiques de la civilisation européenne et eurasienne ».

L’année dernière, ce « Cercle du Bon Sens » avait organisé une table ronde en coopération avec l’« Institut franco-russe DNR de Donetsk », les « Plumes rouges d`Octobre » (« Red Feather Octobre » en anglais), au cours de laquelle, les participants avaient discuté de l’existence des frontières ukrainiennes et nié l’existence même d’une nation ukrainienne, dont ils avaient surnommé les habitants des  » Petits Russes « .

COMMENT JUGER DES BARBARES SELON DES LOIS DÉMOCRATIQUES ?

L’Europe commence à réagir aux tentatives russes de lui imposer cette guerre hybride. Lors de la dernière session de l’APCE, une résolution a été adoptée après la publication du rapport « Questions juridiques liées à la guerre hybride et aux obligations en matière de droits de l’Homme ». C’est en effet un pas en avant, mais en comparaison à la manière dont se développent les événements sur le front de la guerre hybride, ce document n’est qu’un murmure silencieux. Le plus tragique est que pour l’Europe occidentale, où l’honnêteté, le respect de la loi et les principes démocratiques font partie intégrante de la conscience et de la perception de tous, ces mêmes principes élevés se transforment en armes dans la guerre hybride. Comment peut-on dans ce cas punir et s’opposer à quelque chose qui n’a pas de définition,  qui n’est pas légalement adopté, qui va au-delà des grands principes et concepts d’une société développée? La vraie question est : est-il possible de juger les barbares avec des lois démocratiques, qu’ils méprisent si sévèrement?

Et puis  l’épiphanie inévitable se manifeste. La Grande-Bretagne a eu à faire face à la guerre hybride, prenant la forme d’une tentative d’assassinat, celle de la famille Skripal. Après l’expulsion collective des diplomates, Boris Johnson, ministre des Affaires étrangères britannique, a annoncé la création d’un groupe au sein du G7, qui  » analysera le mauvais comportement de la Russie sous toutes ses manifestations : la cyberguerre, la désinformation, les tentatives d’assassinat » afin de trouver une « réponse collective ». Mais le temps de penser et de chercher des réponses a expiré depuis longtemps. Il faut maintenant commencer à agir.

Par Olga Budnik, Strasbourg

Source: Ukrinform France