Par : Florence Schulz | EURACTIV.de | translated by Méline Gadji


L’UE prend des mesures contre les cyberattaques et l’utilisation abusive des données. Mais le combat contre les semi-vérités populistes pose au moins autant de problèmes. [Iryna Imago/ Shutterstock]

En vue des élections européennes du mois de mai, l’UE tente de s’armer contre l’utilisation abusive et ciblée des données. Le financement des partis sera lui aussi passé au crible. Mais le phénomène des fake news est difficile à contrer.

L’élection de Donald Trump et le Brexit. Deux événements qui ont laissé le monde ébahi, qui doivent tous deux leur succès à des campagnes massives en ligne.

Le scandale de Cambridge Analytica a démontré que les campagnes électorales d’aujourd’hui sont influencées par le piratage, la désinformation et l’utilisation abusive de données. À l’approche des élections européennes, l’UE tente de prendre des mesures contre les manipulations ciblées de l’intérieur et de l’extérieur.

La semaine dernière, le Comité économique et social européen (CESE), qui conseille les institutions sur le plan législatif du point de vue des patrons et des travailleurs, a adopté un avis sur une proposition de la Commission européenne.

Selon cet avis, l’autorité européenne chargée de contrôler les partis européens doit être renforcée et assurer une liaison avec les autorités européennes chargées de la protection des données. Cette autorité, constituée jusqu’ici de seulement trois personnes, ne devrait pas seulement examiner d’où vient l’argent récolté par les partis et les fondations – Steve Bannon, par exemple, veut promouvoir des mouvements populistes avec sa fondation. En cas de doute, le bureau devrait aussi pouvoir ouvrir des enquêtes et imposer des sanctions en cas d’utilisation abusive de données, comme ce fut le cas lors de la campagne électorale américaine.

« Ce n’est qu’un petit pansement sur une plaie béante », soupire la rapporteure Marina Yannakoudakis, ancienne eurodéputée des Conservateurs et Réformateurs européens et maintenant membre du CESE. « Le problème de la manipulation est bien plus profond. »

Le piratage de données et les fake news sont une industrie en constante évolution. À défaut d’agir efficacement, l’UE est condamnée à combler les brèches déjà existantes.

L’UE met tout en œuvre pour lutter contre la cybercriminalité. Et le défi est de taille. Selon la Commission, 80 % des entreprises européennes ont signalé au moins un incident de cybersécurité l’année dernière.

Le coût de ces cyberattaques est estimé à environ 400 milliards d’euros par an pour l’économie mondiale. Plus récemment, le virus « Wannacry », qui a paralysé les systèmes dans 150 pays en 2017, a alerté Bruxelles.

« 2017 a marqué un tournant dans la prolifération des cyberattaques en UE », a déclaré Aengus Collins, auteur d’une étude du Forum économique mondial.

Le vice-président de la Commission, Frans Timmerman, a lui aussi employé des mots forts : « ne nous leurrons pas. Il y a des gens qui veulent perturber les élections européennes, et ils disposent de moyens très sophistiqués ».

Après le sommet européen de Salzbourg, la Commission a présenté sa série de mesures visant à garantir des élections européennes libres et équitables. De ce paquet pour la sécurité informatique doivent naître un centre de compétences pour la cybersécurité dans l’industrie, la technologie et la recherche, ainsi qu’un réseau de coopération européen entre les autorités de protection des données, dans le but de partager leur savoir sur les méthodes permettant d’influencer les élections.

Les États membres s’appuient d’ores et déjà sur l’échange mutuel d’expériences, et des réunions entre les bureaux compétents sont prévues en janvier et avril. La semaine dernière, les institutions de l’UE se sont finalement mises d’accord sur la nouvelle loi européenne sur la cybersécurité, qui renforcera l’Agence européenne pour la cybersécurité (ENISA) et créera pour la première fois un cadre de normes de cybersécurité.

Pour la rapporteure Marina Yannakoudakis, le plus grand danger réside tant dans la propagande populiste qui répand des semi-vérités, que dans l’utilisation abusive des données. « Pour être honnête, j’ai plus peur d’un fou comme Donald Trump que des pirates russes. Au moins, Vladimir Poutine est clair sur ses intentions. »

C’est pourquoi il incombe également à la presse d’agir contre la propagande en fournissant des reportages équilibrés, selon la rapporteure.

« Regardez la campagne Pro-Brexit. Ils faisaient déambuler des bus avec des faux chiffres supposés être le montant que la Grande-Bretagne devait payer à l’UE », dénonce-t-elle.

Le problème des fake news est plus compliqué à cerner que les cyberattaques, selon Marina Yannakoudakis. Car la désinformation n’est pas illégale per se, et tombe sous le champ de la liberté d’expression.

Le fait que les fausses informations, la plupart du temps sur internet, soient utilisées à des fins politiques, s’est illustré pendant la campagne du Brexit. Plus de 40 % de la campagne s’est déroulée sur Internet, selon l’UE.

Pour lutter contre la désinformation, l’UE compte beaucoup sur l’autorégulation des plateformes en ligne. En avril, elle a publié un code de conduite, sorte de memento pour les réseaux sociaux.

L’échange d’expérience sur la cybersécurité, un code de conduite arraché aux plateformes en ligne et enfin, le renforcement d’une autorité pour superviser les partis en campagne électorale : Bruxelles se prépare à la manipulation électorale.

Au final, le point de vue importe peu, estime Marina Yannakoudakis. Dans l’UE, il faut faire de petits pas pour aller de l’avant, conclut-elle.