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La pilote militaire ukrainienne, détenue depuis presque deux ans en Russie, a été échangée mercredi contre deux agents russes présumés, Evgueni Erofeïev et Alexandre Alexandrov, emprisonnés en Ukraine.

Trident ukrainien sur la poitrine, coupe soignée à la garçonne, regard dur, pieds nus, la pilote Nadia Savtchenko est arrivée mercredi après-midi à l’aéroport de Kiev. Après avoir passé plus de sept cents jours derrière les barreaux, en Russie, condamnée en mars à vingt-deux ans de prison pour complicité dans le meurtre de deux journalistes russes dans le Donbass, elle a été échangée contre deux agents présumés de renseignement militaire russe, détenus en Ukraine.

Encerclée par les journalistes, Savtchenko, fatiguée mais farouche, s’est adressée d’une voix forte à la foule : «Je suis toujours prête à sacrifier ma vie sur le champ de bataille pour l’Ukraine !» Elle a demandé pardon aux mères des combattants qui ne sont pas revenus de la guerre, de ceux qui sont encore emprisonnés, en promettant de faire tout son possible pour les libérer. «Je veux remercier ceux qui me voulaient du bien, grâce à eux j’ai survécu ; […] ceux qui m’ont voulu du mal, j’ai survécu pour les contrarier ; […] ceux qui étaient indifférents, ils n’ont pas gêné», a-t-elle lancé, avant de s’engouffrer, sous les cris «Gloire à l’Ukraine», dans une limousine noire qui l’emmena au palais présidentiel, pour une conférence de presse conjointe avec Petro Porochenko.

Bras d’honneur aux magistrats

«Nadia est devenue un symbole de fierté et d’insoumission, tout comme l’Ukraine. […] Sa libération est notre victoire commune», a déclaré le président ukrainien debout aux côtés de Savtchenko, qu’il a doté du titre Héros d’Ukraine et décorée de l’ordre de l’Etoile d’or. De fait, durant sa détention, la pilote, élue symboliquement députée de la Rada, est devenue une sorte de «Jeanne d’Arc» ukrainienne, considérée comme une prisonnière politique aussi bien par Kiev que par les chancelleries occidentales. Tout au long d’un procès controversé, elle a tenu tête aux juges, en refusant de reconnaître sa culpabilité. Elle a mené de longues grèves de la faim, chanté l’hymne ukrainien depuis son box au tribunal et même décroché un célèbre bras d’honneur aux magistrats lors de la séance de clôture.

Les honneurs et la joie avec lesquelles Savtchenko a été accueillie dans son pays contrastent violemment avec le discret retour à Moscou de Evgueni Erofeïev et Alexandre Alexandrov. Les chaînes russes ont diffusé quarante secondes d’images muettes, montrant leur arrivée et des embrassades timides avec les épouses respectives au pied de l’avion. Seules trois chaînes fédérales ont pu pénétrer sur le tarmac pour filmer la descente des deux hommes de l’avion, sans autorisation toutefois de leur poser la moindre question, ont rapporté des journalistes sur place. Selon Kiev, qui les avait condamnés à quatorze ans de prison pour avoir combattu dans les rangs des séparatistes, les deux hommes sont des agents actifs du renseignement militaire russe, le GRU. Mais Moscou, qui n’a jamais reconnu officiellement sa participation au conflit dans le Donbass, avait renié les combattants, dès que leur capture avait été rendue publique, prétendant qu’ils avaient quitté les rangs de l’armée russe plusieurs mois avant de s’enrôler comme volontaires en Ukraine.

Les deux Russes, pas des héros pour Moscou

Tout comme le triomphe de Savtchenko symbolise la résistance de l’Ukraine, le retour en catimini des combattants russes est une illustration de la manière dont la Russie a mené son opération dans le Donbass. Une guerre qui n’a jamais dit son nom. «Pour la Russie, Erofeïev et Alexandrov, ne sont non seulement pas des héros, mais on ne sait pas ce qu’ils sont, au mieux des victimes du système répressif ukrainien, écrit le journaliste d’opinion Oleg Kachine. Ils ne seront pas décorés publiquement, car cela reviendrait pour la Russie à reconnaître sa participation à la guerre en Ukraine. Ils ne seront jamais élus nulle part afin de ne pas créer de précédent pour d’autres vétérans du Donbass qui voudraient entrer en politique. Le maximum de publicité sur laquelle ils peuvent compter est une interview dans le JT, puis le silence.»

Parce qu’il fallait néanmoins justifier leur libération et un change qui allait forcément faire du bruit, le Kremlin a mis en scène une séquence d’un cynisme rare. Le président Vladimir Poutine a reçu personnellement la veuve du journaliste et la sœur de l’ingénieur du son tués prétendument à cause de la pilote ukrainienne, pour les remercier de lui avoir adressé une «demande de grâce de Savtchenko».

Par: Veronika Dorman

Source: Libération

Photo: Gleb Garanich, Reuters