Deux ans après l’annexion de la Crimée, les Tatars sont ceux qui souffrent le plus de ce changement de statut car ils s’opposent aux nouvelles autorités. Ainsi, le Mejlis, assemblée des Tatars, vient d’être déclaré illégal par la Russie, ce qui pousse les organisations tatares vers la clandestinité.

Depuis l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie en mars 2014, la situation de droits de l’Homme dans la péninsule ne cesse de s’aggraver. Ce sont surtout les Tatars de Crimée qui sont persécutés au quotidien.

Moustafa Djemilev, chef de file du Mouvement national des Tatars de Crimée et Refat Tchoubarov président du Mejlis, l’Assemblée des Tatars de Crimée, se sont vus interdire d’entrer en Crimée pendant 5 ans. Ils résident à Kiev et sont dans l’impossibilité de revenir chez eux. De nombreux militants Tatars se retrouvent en détention. D’autres subissent des perquisitions et toutes sortes de pressions.

L’unique chaîne de télévision Tatare, ATR, qui avait appelé ouvertement au boycott du référendum sur le rattachement à la Russie, a été forcée de cesser d’émettre sur la péninsule en mars 2015. Elle est désormais installée à Kiev. Mais les autorités russes ont décidé d’aller encore plus loin : le 26 avril, la justice russe a interdit le Mejlis, en le classant comme « organisation extrémiste » et en interdisant ses activités dans la Fédération de Russie et donc, de facto, en Crimée.

Les Tatars de Crimée sont le peuple autochtone de la péninsule. Ils ont été à l’origine du Khanat (royaume) de Crimée, fondé en 1 441. Au XVIIIe siècle, le gouvernement de l’impératrice russe Catherine II a annexé ce territoire, et le Khanat de Crimée a cessé d’exister. Au cours des décennies suivantes, les Tatars sont devenus minoritaires dans la péninsule, car l’Empire russe y installait un grand nombre de paysans russes. Ce fut le début d’une période tragique dans l’histoire des Tatars de Crimée, qu’ils appellent « l’âge noir ».

LE MEJLIS L’ASSEMBLÉE DES TATARS DE CRIMÉE CONTRE L’OCCUPATION RUSSE

Mais c’est à la fin de la Seconde Guerre mondiale que les Tatars de Crimée ont vécu la plus grande tragédie de leur histoire. L’ensemble de la population, soit environ 200 000 personnes, a été déporté hors de Crimée sur ordre de Staline, sous prétexte de collaboration avec les nazis. Les autres populations de la péninsule, comme Grecs, Arméniens, Tchétchènes, ont été déplacées, mais la déportation Tatare, connue sous le nom le « Sürgün » (Premier Exil), a été une action à une tout autre échelle. À la fin des années 1980, les Tatars de Crimée ont commencé un retour massif dans la péninsule, leur patrie historique.

Le Mejlis, l’instance représentant les Tatars de Crimée, n’a jamais accepté l’annexion de la péninsule et n’a pas reconnu le référendum sur le rattachement à la Russie de mars 2014. Ses activités ont déjà été arrêtées de facto depuis le 13 avril par décision de la procureure russe de Crimée, Natalia Poklonskaïa. « Les membres et les dirigeants du Mejlis sont des marionnettes dans les mains des grands marionnettistes occidentaux », a-t-elle jugé.

À la suite de ce verdict, le président du Mejlis, Refat Tchoubarov a déclaré que l’Assemblée fonctionne désormais sous un « régime d’exception », avec un quartier général déplacé à Kiev. Selon lui, les autorités russes de Crimée « n’ont pas interdit le Mejlis. Elles ont donné une licence pour une chasse à l’homme ».

L’Ukraine, ainsi que les organisations internationales, exigent l’annulation de cette décision du tribunal russe. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, a précisé : « J’en appelle aux autorités compétentes pour qu’elles prennent les mesures qui s’imposent afin de revenir rapidement sur cette décision ». Rappelons qu’à la suite d’une visite de la Crimée, une délégation du Conseil de l’Europe pour les droits de l’Homme a présenté le 13 avril un rapport d’évaluation dans lequel elle a insisté sur le fait que qualifier le Mejlis d’« organisation extrémiste » augmenterait considérablement le risque d’aliéner encore plus la communauté tatare de Crimée et d’isoler cette dernière du reste de la population de la péninsule.

Un porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, a déclaré que la question de l’interdiction du Mejlis est « une question intérieure russe», et que la Russie n’a pas l’intention d’écouter les « conseils » de l’extérieur. En Ukraine, un Ministère des territoires occupés et des populations déplacées a été créé par le nouveau gouvernement, arrivé au pouvoir en avril. Le Ministère a pour objectif de répondre rapidement aux problèmes et aux menaces actuelles dans les régions de Donetsk et de Lougansk, ainsi que dans la péninsule de Crimée.

Depuis l’annexion près de 16 000 Tatars de Crimée ont été obligés de quitter la péninsule sur les 200 000 environ qui y vivaient avant l’annexion. À nouveau, Ils ont été chassés de leur terre. De son passé soviétique le pouvoir russe a hérité des méthodes brutales. Il n’hésite pas à les mettre en œuvre. Le Kremlin prouve une nouvelle fois qu’il est prêt à éliminer tous ceux qui s’opposent à lui.

par Anna Dolya, chercheuse ukrainienne

La source: Comité Ukraine. Libération

Photo: Alain Guillemoles